Si cette date de l'Histoire,
Atroce à toute vérité,
Incline l'homme, sans victoire,
Lourdement, sur la volupté,
C'est que rien, ailleurs, au grimoire
Des êtres et des cœurs, jeté,
Sans boussole sur la mer noire
D'un ensemble ou l'Éternité
Ne permet plus aucune voile,
Ne prouve, n'atteint, ni n'étoile
La moindre probabilité.
La Nuit n'ouvre qu'un seul délice :
L'abandon tendu d'un corps lisse
Sur le feu qui la suscité.
La science politique est peut-être la plus déroulante, tant il semble difficile d'y prévoir ou d'y fixer quelque loi. Elle a trop de dépendances pour permettre une méthode régulière et la plupart des bases qu'on lui donne sont, en réalité, factices. Tout en apparaissant quelquefois semblable à travers ses variations, l'histoire est toujours différente et ne se répète pas, — du moins, de la même manière ; les décors, les gestes, les hommes, les circonstances, la rendent neuve ; elle crée un perpétuel mirage ; et les observations sur le passé ne servent guère au présent ; elles aident à conduire l'actualité avec plus ou moins d'ordre, elles ne la créent point ; celte création s'effectue avec nous, par nous, — et au-dessus de nous. Grâce à l'éternelle jeunesse du hasard, la science politique échappe au plus perspicace, ruse avec lui et, par cela même, apparaît le plus fort des jeux humains, l'art suprême, le plus difficile et le plus tentant.
« Tout ce qui ne se traduit pas en une force est tenu pour chimérique... Il faut que, de notre temps, l'idéal devienne réalité. »
Renan.
Le soir morne et pesant qui descend sur la ville
Répond à ma tristesse et drape aussi dans moi
Des restes de couchant où quelque vieil émoi
S'attarde sans mourir au présent qui l'exile.
Mais la nature sait que demain dans l'aurore
Elle rejettera son sommeil oublieux
Tandis que mon chemin qui se poursuit ignore
Vers quel but il s'en va sous le ciel ténébreux.
L'âme s'est faite loin d'elle même aujourd'hui ;
Sa force s'est usée à vivre mal, l'ennui
Rôde en elle et la guette à chaque élan sincère
Pour lui draper bientôt des robes de misère.
L'âme ne connaît plus de forte solitude;
Elle a peur du chemin qu'elle devine rude
Et, même sans plaisir, s'abandonne au courant
Qui l'emporte au hasard vers quelque but errant
Parmi de vains essais d'amour et d'allégresse ;
Elle en revient fanée et lourde de tristesse
Ayant perdu ses fleurs et toute sa fierté.
Elle pourrait toujours vers le berceau quitté
S'en retourner d'un pas qui reste jeune encor,
Mais trop abandonnée au charme d'avoir tort,
Craignant de ne pouvoir plus vivre solitaire,
Elle demeure à piétiner la même terre,
Se livre à ce qui, loin d'elle, la mène loin
De son dernier asile, et lasse d'avoir soin
De se mentir toujours, éperdue, épuisée,
Meurt de tant de douleur par trop inavouée.
« La Société a besoin d'une doctrine nouvelle ou renouvelée, d'une philosophie ou d'une religion qui, remplaçant dans les consciences une foi qui n'y fait plus rien et substituant ses principes aux dogmes éteints qui y sommeillent, apporte aux âmes une moralité dont elles ne sauraient se passer longtemps. »
Damiron.
Las des autres et de moi-même,
Las de toujours lire ou penser,
Las de tout, même de ce que j'aime,
Je crie au ciel : « Ayez pitié ! »
Ayez pitié du pauvre malade,
Enfant d'un siècle fatigué;
Pardonnez-lui, le temps est fade,
On ne sait plus que des risées ;
J'ai trop tendu mes faibles bras
Vers un royaume insaisissable,
Pas un écho, pas une voix,
Pas une trace sur le sable.
Où donc partir i Où donc aller
Pour entrevoir l'antique étoile
Au ciel encore une fois briller
Devant nos yeux couverts de voiles ?
Où découvrir les certitudes ?
La mer submerge les rochers,
Le sable encombre les vastitudes
Où toute tour s'est écroulée.
Et dans mes songes j'aperçois
Un catafalque mortuaire
Où mon pauvre rêve solitaire
Est enfermé mort de froid.
Une voix chante dans nos coeurs
Tous les refrains de nos désirs,
Désirs d'amour et de bonheur...
— Une autre dit nos souvenirs,
Souvenirs d'attente et de pleurs.
Les voyageurs qui sont passés
Étaient mornes et fatigués.
La brise emporte la chanson
Où s'alanguissaient nos tendresses
Pour celle-là que nous voulions...
— Le vent rapporte des tristesses
Et n'y mêle plus de chansons.
Dans le parc sombre et déserté,
L'enfant Amour est renversé.
Tout est donc vide et n'est-il rien
Le long des routes monotones,
Rien à cueillir ou désirer ?...
— Et l'écho du val qui résonne :
Rien à cueillir ou désirer.
Les voyageurs qui sont passés
Étaient mornes et fatigués.
LE PLAISIR DANS L'AMITIÉ
Aboli le jeu du mensonge,
La recherche du seul Plaisir
Aux longs délices ou il plonge
Nous a tous deux fait nous choisir.
La Tendresse ourle le Désir
D'un liseré gui le prolonge,
C'est un fil d'or qu'il faut saisir
Sans en interrompre le songe,
Libre à travers la trame obscure
De la merveilleuse aventure
Qui nous dénude et nous enlace
Sans qu'en ce lien toujours dénoué
L'Amour corrode l'Amitié
Qui mène à ce qui la dépasse.