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Citation de Partemps


Le temps était lourd et torride. La chaussée brillait d’un éclat aveuglant.
Les cochers de fiacre circulaient bruyamment, exposant leurs dos bleus et usés au brasier du jour.
Les balayeurs soulevaient des trombes de poussière sans prêter attention aux grimaces des passants. Leurs faces sales et bronzées ricanaient.
Des roturiers exsangues de chaleur et des bourgeois méfiants parcouraient les trottoirs.
Ils étaient pâles, et sur eux tous pesait la voûte d’un ciel tour à tour bleu, gris-bleu, gris ou noir, imprégné d’un ennui musical, d’un ennui éternel, avec l’œil du soleil planté au centre.
Qui déversait des flots d’incandescence métallique.
Chacun fuyait sans savoir où ni pourquoi et craignait de regarder la vérité en face.
Un poète écrivait un poème d’amour, mais n’arrivait pas à trouver la rime ; il fit une tache, regarda par la fenêtre, et l’ennui céleste lui fit peur. Le ciel gris-bleu à l’œil cyclopéen lui souriait.
..........
La vieille chapelle en pierre grise dressait sa silhouette sombre parmi les tombeaux ; la rosée couvrait déjà l’inscription gravée : « Paix à toi, Anne, mon épouse !... »
C’était une nuit sainte. Le dernier nuage s’était dissous dans le ciel émaillé.
Des étoiles d’or y brûlaient ; les rues étaient vides, propres et blanches.
Du balcon d’un immeuble à deux étages, on pouvait apercevoir deux rangées de feux dorés s’étirant le long des rues endormies.
Ils se fondaient au loin en un seul filet d’or.
Toute la nuit, la lueur demeura à l’horizon, comme si quelqu’un y avait allumé un cierge.
On eût dit que saint Jean y passait la nuit en prières, accomplissant un sortilège pourpre.
Un long nuage ambré zébrait le couchant.
La fée au cœur lourd s’assit sur le rebord de la fenêtre pour le regarder.
Ses cheveux roux étaient répandus sur ses épaules; les étoiles d’or lui brillaient au visage.
Elle devait quitter Moscou le lendemain et elle disait adieu à ses rêves.
...Un cierge semblait brûler derrière l’horizon.
On eût dit que saint Jean y passait la nuit en prières, accomplissant un sortilège pourpre.
C’était déjà le blanc lundi de la Pentecôte. Tous dormaient et leurs rêves étaient purs.
Seul, dans une maison de deux étages, un homme, ni vieux ni jeune, était sorti sur son balcon.
Il tenait une bougie qui brûlait d’une flamme blanche comme le jour qui se levait.
Soudain, il y eut un coup de vent, malgré le ciel qui était d’une pureté sans bornes.
Une poussière grise s’éleva en hautes volutes.
Les cheminées se mirent à geindre et la bougie s’éteignit.
On entendit nettement un bruit de trompe au-dessus de Moscou, et des trombes de lumière déferlèrent dans le ciel.
.......
Le jeune printemps arriva. Dans l’enceinte du monastère, l’église rose dressait ses coupoles blanc et or parmi les tombeaux de marbre et les chapelles.
Les arbres bruissaient au-dessus des défunts solitaires.
C’était le royaume des larmes figées.
De nouveau, comme l’an passé, le pommier fleurissait devant la petite maison rouge.
Ses fleurs blanches et parfumées apportaient l’oubli des souffrances et des peines ; c’étaient les fleurs des jours nouveaux…
Et de nouveau, la petite nonne allait s’asseoir sous l’arbre, serrant convulsivement son chapelet entre ses doigts.
De nouveau, la lueur rouge riait à l’horizon et envoyait un vent léger sur le pommier…
Et l’arbre répandait sur la petite nonne les fleurs blanches de l’oubli…
On entendait crier les martinets, et la nonne se consumait vainement sous les feux du couchant…
Une belle jeune femme en robe de printemps errait de nouveau parmi les tombes…
C’était la fée…
La petite nonne et elle se regardaient et se souriaient comme de vieilles amies.
Sans un mot, elles se disaient que tout n’était pas perdu, qu’il restait beaucoup de joies saintes pour les hommes de la terre…
Et que l’impossible approchait, doux et tendrement pensif…
La fée, comme ensorcelée, s’immobilisait parmi les sépultures pour écouter le bruissement des couronnes de fer agitées par le vent.
Le futur s’ouvrait devant ses yeux et la joie envahissait son cœur...
Elle savait.
Des lumières éclairaient les tombes çà et là.
La petite nonne allumait des veilleuses sur certaines d’entre elles, et pas sur certaines autres.
Le vent faisait bruire les couronnes de fer, et l’horloge marquait lentement les heures.
La rosée tomba sur la chapelle de pierre grise où étaient gravés ces mots : « Paix à toi, Anne, mon épouse ! »
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