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Citation de Aproposdelivres


À vrai dire, je ne sors plus très souvent, je fais surface une fois par semaine peut-être, pour aller prendre de l’eau à la source. Je me lave et je lave ma protégée, elle est toute
chaude. Il faut beaucoup d’eau, plusieurs allées et venues ; mais il est bien rare qu’en chemin je rencontre quelqu’un avec qui échanger quelques mots. La plupart du temps il
n’y a pas âme qui vive, une ou deux fois je suis tombé sur un chevreuil ou sur un sanglier ; mais ils se sont faits froussards, ils me craignent rien qu’à l’odeur. Quand je siffle, ils se
figent sur place, ils me fixent d’un air borné, les yeux ronds, sans s’approcher. En voilà un prodige : un homme qui sait la langue des serpents ! Cela les effraye encore plus : ils sauteraient volontiers tête première dans les fourrés, ils prendraient leurs pattes à leur cou pour mettre toute la distance possible entre eux et cette monstruosité — mais pas moyen : les mots, les mots des serpents, les en empêchent. Je siffle encore, plus fort ; sévèrement, je leur ordonne de venir auprès de moi. Ils brament désespérément, ils se traînent vers moi à contrecœur. Je pourrais prendre pitié d’eux et les laisser s’en aller, mais à quoi bon ? Il y a en moi une étrange colère envers ces créatures qui ont tout oublié des anciennes coutumes et bondissent dans les sous-bois comme si, de toute éternité, ceux-ci n’avaient été créés que pour qu’elles s’y ébattent librement. Alors je siffle encore, et cette fois les mots que je siffle sont comme une fondrière dont il est impossible de s’extraire. Perdant toute volonté, les bêtes se ruent sur moi comme des flèches tandis que leurs entrailles explosent sous l’effet de cette tension insupportable. Les ventres se déchirent comme des pantalons trop serrés et les intestins se répandent sur l’herbe. C’est un spectacle répugnant, et je n’en ai guère de joie, mais jamais je ne m’abstiens d’éprouver mon pouvoir.
Est-ce ma faute si ces brutes ne savent plus la langue des serpents que mes ancêtres leur ont enseignée jadis ?
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