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Citation de HundredDreams


« C’est quoi ? » dit Pärtel. « C’est le pain ? Tu l’as pris ? »
« Je n’ai pas pensé à le jeter. »
Il s’approcha et caressa prudemment du doigt la fine croûte brune et craquante.
« On y goûte ? »
« Non ! » s’écria Hiie. « Il ne faut pas ! C’est interdit de manger du pain ! Papa ne veut pas ! Maman dit que c’est du poison ! » « Ça, sûrement pas, vu que mon père en mangeait avant de mourir. » En prononçant ces mots, je me rendis compte qu’ils étaient ambigus, et fort peu encourageants. « Enfin, je veux dire, ce n’est pas de cela qu’il est mort », ajoutai-je précipitamment. « Maman aussi, elle y a goûté. Elle dit que c’est dégoûtant, mais c’est tout. Et les villageois, ils en mangent tout le temps. » « En voilà un exemple ! » s’écria Ints. « C’est peut-être bien ça qui les rend bêtes. »
« Juste un bout », argua Pärtel. « Une tout petite miette. Pour voir ce que c’est que ce truc bizarre ! »
« S’il vous plaît, ne faites pas ça ! » supplia Hiie, les yeux écarquillés de terreur. « Il va vous arriver malheur ! J’ai peur ! »
Ce fut sa frousse qui nous décida. Il fallait lui montrer que nous n’avions pas peur d’un bout de pain.
« Allez, une lichette », dis-je, en rompant la miche d’une main légèrement tremblante : c’était quand même interdit, et je n’étais pas tranquille. Peut-être que cela brûlait comme les orties ? Ou alors cela faisait vomir ? Mais Pärtel s’était déjà servi : nous tenions chacun notre bout de pain entre les doigts en nous regardant. Puis nous inspirâmes profondément, enfournâmes le pain et entreprîmes de mâcher.
En tout cas, ça ne brûlait pas et ça ne donnait pas la nausée. Mais ça n’avait pas non plus vraiment de goût. C’était sec et désagréable, comme de l’écorce : le genre de chose qu’on peut mâcher aussi longtemps qu’on veut, mais qu’on aura toujours du mal à avaler.
Hiie et Ints avaient les yeux fixés sur moi : l’une avec une mine terrifiée, l’autre un air dédaigneux.
« Alors, c’est comment ? » piailla Hiie.
« Ça va », dis-je héroïquement. « Ça ne fait rien du tout. »
« Oui », confirma Pärtel. « Ça se laisse manger. »
« Ça suffit comme ça ! » supplia Hiie.
En vérité, nous n’avions guère envie de répéter l’expérience, mais il aurait été embarrassant de s’arrêter là. C’est pourquoi, sans prêter garde aux supplications de Hiie, nous nous mîmes à rompre d’autres morceaux et à les mâcher lentement.
Il y avait quand même de quoi être fiers – manger du pain, ce produit mystérieux et prohibé, qui par-dessus le marché n’avait pas bon goût : voilà un exploit viril. De petits garçons n’y seraient pas arrivés, ils auraient recraché, mais nous, nous avalions sans faiblir. Nous étions des grands, des adultes.
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