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Citation de Pasoa


Pasoa
02 novembre 2021
Sixième

Les souvenirs en nous vivent trois âges.
Le premier - il semble que c'était hier.
L'âme demeure sous leur voûte bénie,
Et le corps ravi à leur ombre repose.
Le rire vibre encore, les larmes coulent,
La tache d'encre est toute fraîche,
Et scellant notre cœur, l'empreinte
Du dernier baiser - unique, inoubliable...

Mais cela ne dure guère et bientôt,
Ce n'est plus une voûte au-dessus de nos têtes,
Mais au fond d'un faubourg une maison perdue,
Où il fait froid l'hiver et chaud l'été,
Habitée d'araignées, couverte de poussière,
Où moisissent nos lettres d'amour fou,
Où les portraits sournoisement s'altèrent,
Où l'on se rend comme sur une tombe,
Et au retour, on se lave les mains,
À ses paupières lourdes, et l'on soupire.
Et l'on essuie une larme furtive
Mais l'aiguille de l'horloge tourne, les printemps
Se succèdent, le ciel s'empourpre,
Les villes changent de nom, et déjà
Il n'y a plus de témoin, personne
Pour partager nos pleurs, nos souvenirs.
Et lentement s'éloignent de nous ces ombres
Que nous cessons désormais d'évoquer,
Dont le retour nous glacerait d'effroi.

Et voilà qu'un beau jour, nous avons oublié
Jusqu'au chemin menant à cette maison perdue
Et, suffoquant de honte et de colère,
Personne ne nous connaît, nous sommes des étrangers.
On s'est trompé d'adresse... Et c'est alors
Que sonne l'heure la plus amère : nous comprenons
Que ce passé ne saurait plus s'inscrire
Dans les limites de notre vie présente,
Qu'il nous est devenu presque aussi étranger
Qu'à notre voisin de palier, que les morts,
Nous ne pourrions les reconnaître, et que ceux
Dont Dieu nous a autrefois séparés
Se sont fort bien passés de nous et même,
Que tout est pour le mieux...


5 février 1945, Maison aux Fontaines
(extrait de "Élégies du Nord") pp. 27-29
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