Interview du Docteur Anne Carecchio pour la Journée internationale de la Femme.
J'ai vu tout ça. Je me suis retournée sur ma vie. ça n'était pas reluisant.
On pourrait dire ironiquement, une vie et un comportement à vomir.
Tous ces regards tristes à cause de moi. Toutes ces heures perdues à engouffrer et dégueuler à la place de vivre. Ce remplissage stérile. Ces tonnes de bouffe gâchées et transformées en tas de merde puante. Toutes ces vies foutues en l'air dans mon entourage proche, ces histoires d'amour avortées, ces rires étranglés, ma jeunesse et ma beauté flinguées.
J'ai voulu de toutes mes forces que l'on ne se préoccupe que de moi et que je devienne l'unique sujet de conversation et d'inquiétude.
J'y suis arrivée, mais à quel prix ?
Cette maladie ; tout un scénario pour que je me retrouve dans ma famille comme la première-née ou, mieux encore, comme l'enfant unique.
J'aurais aimé rester plume, mais plume d'un bel oiseau, pas d'un truc tout chétif et maladif. Pas d'un perroquet. Trop coloré. Plutôt d'un goéland ou d'un faucon, qui planent dans le vent, beaux et majestueux.
Mon métier, auquel j'ai accédé par le biais de ma persévérance, de mon courage et de ma volonté, est le reflet de l'ambivalence de ma personnalité.
Je ne lui ai d'ailleurs jamais dit : " J'ai été anorexique-boulimique, j'ai vomi entre dix et vingt fois par jour, j'ai très mal aux dents ", mais plutôt : " J'ai eu autrefois quelques légers troubles du comportement alimentaire, rien de très grave. Cela a dû avoir quelques répercussions sur mes dents, vous ne croyez pas ? ". Trop de honte de mon côté pour avouer. Trop de malaise du sien pour oser demander.
C'est comme si on cherchait à s'effacer très progressivement, en se faisant de plus en plus légère. Peut-être que de cette manière on peut un jour arriver à n'être plus rien. Peut-être que de cette manière, un jour, tout peut se figer.
Elle ne bougeait pas, elle dansait.
Elle ne vivait pas, elle souriait l'existence.