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Critiques de Anne-Cécile Causse (2)
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L'aube, après toi

Quelque chose finit. Quelque chose commence. Dans l'intervalle entre le deuil et l'espérance naît et se déploie un dire singulier : le poème.



Premier recueil d'un auteur que l'on devrait très vite retrouver.
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L'aube, après toi

« L’Aube, après toi » se présente comme un recueil de poésies en vers libres, de facture courte, distribuées en trois parties :



1 – Absence de temps



2 – Danse sans geste



3 – Refuge du soleil



La perte de l’être aimé – « toi » – et sa ressaisie paradoxale dans la lumière de l’expérience poétique constituent la matière de ces poésies – comme l’indiquent le titre et les intertitres. Ce qui est passé est passé : le « temps » vécu s’est fait « absence » ; et l’événement, la « danse », ne survit désormais qu’à l’état de trace, fantomatique, au sein de la mémoire – le « geste » manque. « Après », vient « l’aube » de l’acte poétique. Le « soleil » de l’écriture est devenu un « refuge » pour dire l’indicible d’une relation intensément vécue, morte ; en dire la présente absence. Une autre temporalité se fait jour, ainsi, celle du poème écrit-récité.



Anne-Cécile Causse ne nous dépeint pas de tableau limpide et abouti de ce moment heureux de l’amour, antérieur à la disparition et au silence. Non, pas de restitution illusoire qui vienne magiquement abolir l’éloignement du temps et l’absence même. – Il lui a fallu bien au contraire traverser les creux, les failles, les vides. Ce sont des images vacillantes, dispersées qui sont mises en branle et tissent leurs réseaux de correspondances. Des « traits », des « contours », pris, ballottés entre mémoire et imagination circulent dans l’espace du poème avec la liberté du rêve. Pas d’emphase ni de cloisonnement. Passer à la ligne suffit ; le lourd attirail des majuscules, qui délimite et enferme lourdement le vers, s’efface. La phrase, fluide et légère, doucement rythmée par les blancs, condense, avec une grande économie de moyens, émotions, retours sur soi et images.



A la page 16, Anne-Cécile Causse écrit :



« La neige derrière la toile,



silence entrecoupé,



me rappelle tes mille doigts imaginés »



Voici un exemple de phrase, qui m’a séduit et que j’offre à l’appétit des babélionautes.



Le rythme est ternaire : au premier vers l’intonation monte ; au second elle se stabilise, l’incise retardant sa résolution ; au troisième vers enfin, la courbe intonative de la phrase descend en flèche.



L’incise se dit en un seul souffle, bref – six syllabes seulement – tandis que les deux vers qui l’encadrent comprennent deux groupes chacun, le premier bref (2 et 3) et l’autre plus long (5 et 8). Cette incise du deuxième vers, qui vient enrichir le sens du premier vers, permet de souligner la symétrie des rythmes qui le précèdent et le concluent ; son débit rapide a aussi pour effet, par contraste, de mieux faire ressortir l’ampleur du troisième vers (11 syllabes distribuées en groupes de 3 et 8), qui ne laisse retomber que très progressivement et lentement la courbe mélodique mélodique descendante. En fait, tout concourt, de par l’organisation de la phrase, à donner son relief maximum au dernier vers.



L’orchestration des consonnes et des voyelles fonctionne elle aussi à plein. Nei-/-nés (neige/imaginés) ouvrent et ferment la phrase, associant étroitement par la similarité des sons, comparant et comparé. Le i de « silence », qui renvoie sémantiquement à « la neige », rapproché des trois i de « mille » et « imaginés », renforce la puissance métaphorique du poème. Enfin, la récurrence des m répartis sur l’ensemble du dernier vers, – un consonantisme nettement audible aux oreilles des lecteurs-auditeurs –, achève de renforcer le débit lent et la solidité de celui-ci, au moment précis où la comparaison de la neige et des doigts de l’amant se conclue.



Par une tournure d’esprit abstractive, Anne-Cécile Causse anime par ailleurs ses pages de personnifications qui sont autant de présences vivantes :



Ainsi, à la page 18 :



« la PORTE a saisi la nuit et avec elle, tes contours »



« Vérité, l’indigente »



Ou plus loin, page 31 :



« O LAMPE, pourquoi cette tristesse »



Cette perception intellectualisée de la vie, des êtres, des choses et de leurs rapports, qui dépasse le seul champ limité des personnifications est cohérent avec la poétique de l’autrice : par ces stratégies de distanciation, elle parvient d’autant mieux à rendre dicible adéquatement, la coexistence des contraires, « "L’aube" et la "fin d’un monde" », dit-elle.



Terminons sur son côté impressionniste, pour ainsi dire, annoncé dès sa préface. Les contours familiers, la valeur locale de l’ami, de l’amoureux, ce « il » non nommé, sont comme métamorphosés par la lumière changeante de l’atmosphère dans laquelle celui-ci baigne. Les phénomènes optiques de la lumière qui modifient, effacent, trouent, démultiplient le corps aimé, connu, voilà une thématique qui parcourt le livre, et qui s’accorde à la fluidité mouvante des images du rêve et de la mémoire, ainsi qu’aux variations d’humeur, du cafard à la saisie confiante de l’avenir. C’est aussi et surtout une parabole du poème et de ce qui le suscite qui est en jeu : la vie singulière d’un être parlant-vivant (puisqu’écrire un poème c’est nécessairement parler à quelqu’un).
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