Critique du livre 'Ceci n'est pas l'Afrique', d'Anne-Cécile Makosso-Akendengué, 2010 par Journal d'une Ombre
C’est mon travail, actuellement, de téléphoner a
des inconnus, pour les convaincre du malheur des
autres. Les interlocuteurs, dont je ne vois pas plus le
visage qu’ils ne voient le mien, changent ; pas ce que
je dois leur dire, et surtout pas la manière dont je dois
leur parler. Formation oblige. Je dois être polie,
aimable, voire enjouée, tout ce que je n’ai pas envie
d’être. En plus, je leur pose des questions dont la
réponse m’indiffère profondément, en vraie
professionnelle.
On m’invente régulièrement des noms. Pas
Dupont ni Durand, mais ça pourrait, ça y ressemble
parfois. Pas franchement terroir, cependant aux
sonorités bien de chez nous, dit-on. Moi aussi, je suis
bien de chez nous, mais c’est quoi ≪ chez nous ≫ ?
Mon nom a une consonance assez exotique. Ma
couleur aussi, quoique…Il est arrive une fois qu’on
me demande si je ne revenais pas des sports d’hiver,
pour être bien bronzée comme ça ! Heureusement
que celle qui posait cette question le faisait sans
méchanceté, ça sautait aux yeux, sinon j’aurais pu
m’énerver. J’aurais dû ?
On ne me voit pas dans ce boulot, mais si quelque
chose transpirait de mon étrangeté ?
Les avocats, les mangues, les atangas, nous en avons à côté de chez nous, ils ne m’étonnent pas. Par contre d’autres fruits dont je ne connais pas les noms – en ont-ils en français ? – sont franchement des raretés ; fruits de la forêt, pas toujours fameux, « je vais essayer, je verrai bien ». Il faut oser, « je ne vais pas m’empoisonner » ! C’est ce que je dis, et ça ne coûte généralement pas plus de cent francs cfa. Pas chers, parce que pas demandés. On devine pourquoi ! Nous trouvons aussi du vin de palme. Lorsque nous allons au petit marché, nous prenons avec nous une bouteille pour en rapporter à la maison. Un peu sucré, un peu amer, il me monte à la tête. De lui aussi je me lasse vite, mais il a un goût de dimanche « à la campagne » irremplaçable. Et le charme d’une sortie toute simple.
C'est la pause. Pause sous le flamboyant pour quelques portraits. Pause pour le travailleur qui fait de ce dimanche un jour de vacances. pause pour les oiseaux que la chaleur réduit au silence. Ils reprendront leur envol et entonneront leurs chants, ce soir. A treize heures nous n'entendons que les bavardages des hommes, et une radio. Pas folles les bêtes!
Le voyage se poursuit, la nuit est tombée. Le peu qui méritait d’être vu à travers la vitre ne peut plus l’être, si ce n’est lorsque nous passons dans une gare, sans nous arrêter, apercevant sur un quai quelques voyageurs en attente d’un train régional. Ils rentrent chez eux, peut-être les attend-t-on. Moi, si quelqu’un m’attendait, j’aurais sûrement moins envie de parler. Surtout pas à un homme que je ne pense pas revoir un jour. Que je n’ai aucune envie de revoir d’ailleurs, et c’est bien pour cela que je lui parle. J’espère que tout ce que je dis ne sera pour lui qu’un lointain souvenir, et moi une femme esseulée dont il rira peut-être un jour avec quelques amis. Je suis sûr qu’il a des amis.
Contre l’évidence énoncée par Charles, et contre le caractère des derniers messages ni dramatiques ni morbides, mais seulement énigmatiques, Mathilde ne se sentit pas la force de supposer plus longtemps que Pierre était mort. Il était plus utile de savoir pourquoi Promenade avait été laissée sur son répondeur. Qui, ayant une relation avec Pierre, connaissait son numéro ? Il fallait comprendre ce nouveau fax qui paraissait plus sec encore que les précédents. Etait-ce l’effet de ces notes serrées, ou encore de ces mots, indications du compositeur et non pas annotations de l’interprète, à la fin, en bas de page ? Mathilde lut, scruta puis chantonna en lisant.
Yves semble gêné maintenant de payer. Pourquoi ? Je lui dirai qu’il n’a pas besoin d’utiliser à chaque leçon une enveloppe. C’est du gaspillage, et je n’en ai pas besoin, je peux prendre les billets et les mettre dans mon porte-monnaie. Il me fait sourire avec ses enveloppes. Il a des scrupules à me payer ? Il me fait sourire aussi avec ses manières un peu compliquées. Il a l’habitude de m’offrir à boire après m’avoir payé la leçon. Je comprends qu’il veut séparer les actions, les différents moments de nos rencontres. Je sens qu’il ne veut pas que celles-ci se réduisent à la relation professeur-élève. J’en suis flattée maintenant. Presque touchée. Je ne veux plus être seulement la prof’.
Je suis allée moi-même me promener au Parc Balzac, le long de la Maine. Là-bas, il y a des lapins. Des ânes aussi, et d’autres animaux qui paissent tranquillement dans leur enclos. Balzac n’y est pas bien sûr, vous vous en doutez, mais si vous vous promenez le soir, comme je le fais moi-même parfois, un peu avant la tombée de la nuit, lorsque les berges de la Maine redeviennent calmes et même désertes, vous aurez le sentiment confus d’être seul sans l’être tout à fait. Certains disent voir souvent sur un banc un homme assis. Rêve-t-il ? Lit-il ? On ne le sait pas. Peut-être écrit-il ? On voit sa silhouette de loin, et puis si l’on approche, le banc apparaît vide, comme si une ombre s’était effacée.
J’ai fini le premier volume de Ceci n’est pas l’Afrique par une sorte de jeu de questions-réponses, par un j’aime-j’aime pas. Aujourd’hui pour ce second volume je m’interrogerai sur le verbe aimer seulement avec cette question que l’on me pose parfois ; le Gabon, tu as aimé ?