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Citation de annielavigne


Lorsque j’atteignis l’âge de quinze ans, ce fut le « grand échange ». Ma mère, qui en avait par-dessus la tête de s’occuper d’une môme lunatique comme moi, voulait vivre sa vie. Elle avait terminé sa maîtrise et rêvait de voyager. Ce n’était pas sa faute si elle avait mal lu le mode d’emploi de son diaphragme...
Mon père, lui, n’était pas très futé et avait abandonné ses études depuis longtemps. Il travaillait dans une manufacture, un autre esclave de la société s’apitoyant sur sa pauvre vie de minable.
Et il en avait assez de payer une pension : le fameux chèque qui, comme il s’en plaignait toujours, était beaucoup trop élevé. Alors, cette idée d’aller habiter chez mon père satisfaisait les deux parties.
Mais qui c’était ce mec avec qui j’allais vivre, ce type que je n’avais vu que quelques heures chaque week-end ? Est-ce qu’il savait quelle drôle d’enfant j’étais devenue ? Est-ce qu’il savait que j’écrivais dans la nuit noire à la lueur d’une chandelle et que je disparaissais parfois les soirs d’orages ? Il était mieux de commencer tout de suite à lire l’encyclopédie de la psychologie enfantine parce que ce n’était pas moi qui allais lui dicter le mode d’emploi !
Cet échange de bons procédés (le « bon procédé » étant ma petite personne) se fit sans même qu’on me demande mon avis. On me déracinait, on coupait mes racines, on me transplantait. Ils me traitaient encore comme un objet ; ces deux cons, ils n’avaient rien compris aux enfants. Elle n’avait plus le temps de s’occuper de moi, et lui, il était bien content de cesser les paiements.
Alors, on signa encore de foutus papiers et on se relança la môme. Mais mon père n’avait pas les bras assez longs pour m’attraper, et je tombai sur la tête…

« Morgane tombe sous la garde légale de son père », avait déclaré un monsieur le juge sans avoir vraiment réfléchi à ses paroles. Tomber sous la garde de mon père allait vraiment changer ma manière de vivre.
Tomber... sous la garde...
Tomber... garde...
Garde-à-vous, soldat ! Je garde l’œil ouvert ! Garde-toi de chialer ! Regarde-moi, petite conne ! Garde ta grande gueule fermée ! Et garde-toi d’en parler à ta poufiasse de mère !
Tomber... je tombai de haut.
Je tombai sous mon père, sous sa garde.
Je tombai sous le poids de ses menaces, sous la menace de ses grosses mains.
Il ne le savait pas, ce sale con, qu’on n’avait plus le droit de frapper les enfants et qu’on devait plutôt essayer de faire pousser des fleurs dans leur subconscient pour qu’ils puissent s’épanouir et vieillir sans trop de séquelles.
Il était beaucoup trop nul pour savoir cela, l’ivrogne : le manuel du bon père monoparental, il ne l’avait pas lu !
Il se rendit vite compte que je coûtais plus cher que ce qu’il donnait à ma mère en guise de pension. Au fond de son cœur, il m’aimait bien, mais j’étais un lourd boulet à sa cheville.
Moi, je compris qu’un papa divorcé, c’était toujours plus gentil le week-end. J’eus donc la lumineuse idée de ne pas rentrer trop souvent à la maison en semaine.
Je brisai mes chaînes...

Pourquoi la porte verrouillée d’un refuge et une enfant qui pleure accroupie dans la nuit ? Pourquoi l’asphalte des trottoirs est-il si froid, et les gens si méchants ? Pourquoi ne pas retourner tout simplement à la maison ?
Parce que c’était mieux ici…
J’étais seule, petite idiote perdue au coin d’une rue sombre, bouche bée devant un panneau d’arrêt. Je ne comprenais pas que je devais repartir, que cette interruption n’était que temporaire. Et je ne m’expliquais pas qu’on me laisse là toute seule, sans personne pour me protéger contre la méchanceté du monde.
Et Dieu sait que le monde est méchant quand on a quinze ans…
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