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Citation de annielavigne


Lorsque mes vieux – qui n’étaient pas si vieux – commencèrent à parler de déménager, de fréquenter d’autres personnes, de changer d’air, je compris que j’étais une erreur de parcours, une surprise arrivée un peu trop tôt dans leur couple. J’avais tout chambardé dans leur vie, et ils s’étaient perdus, entre les beuveries du week-end et les boîtes de couches. Il ne restait plus de leur amour qu’une enfant qui pleurait...

Mes parents s’étaient rencontrés en chantant « We Are the World ». Ils voulaient sauver le monde à grands coups de « je t’aime ». Mais sans crier gare, les années quatre-vingt-dix leur étaient tombées dessus, avec la guerre en Irak et les attentats. Inspirés par tant de nouveautés, ils se trouvèrent un autre jeu que celui des mamours, beaucoup plus moderne et excitant : la guerre. Je crois qu’ils trouvaient cela aussi bon que l’amour. Avec la guerre, on avait toujours la satisfaction que procuraient le pouvoir et la domination. Avec l’amour, on ne réussissait qu’à faire des enfants...
Mes parents se séparèrent lorsque je n’étais encore qu’un petit bout de femme. J’avais de longs cheveux châtains, que ma mère adorait tresser, et les yeux verts, avec parfois, dans l’un d’eux, un carré bleu. « C’est la terre que je vois au fond de tes yeux, me disait-elle. Une belle planète bleue pleine de soleil... »
J’avais cinq ans et je resplendissais comme un joyau.
Comme j’étais la plus belle pièce de leur collection, ils se battirent devant la justice du palais, comme deux cons égoïstes, pour savoir qui aurait le privilège de m’aimer.
La cour était en guerre.
Aucun d’eux ne gagna la bataille, ils n’eurent d’autre choix que de me couper en deux.
Et vlan ! Ils coupèrent ma chambre en deux, mes poupées et Monsieur l’Ourson en deux, et mon petit cœur en deux aussi. Chacun s’empara d’une moitié de moi. Le week-end chez papa, la semaine chez maman. J’étais la princesse à deux têtes. Et je devins hideuse dans mon cœur.
Fais la petite valise, transporte les jouets. Dis au revoir à papa, donne un gros bisou, à la semaine prochaine. Retourne chez maman, défais la valise. Repars, reviens, embrasse, dis au revoir, serre bien fort. Ne pleure pas surtout, Morgane, papa est là, personne ne t’abandonne. Ne pleure pas mon bébé, maman revient dimanche soir. Au revoir papa. Au revoir maman. Au revoir...
Je grandis en courant. Je courais pour rattraper mes parents qui se séparaient, qui s’éloignaient toujours de plus en plus, me laissant au milieu, seule. Je courais de l’un à l’autre, à bout de souffle, ou plutôt je rebondissais comme une balle de tennis qu’on venait de frapper...
Je vieillis avec le sentiment qu’on ne pouvait m’aimer que quelques jours à la fois. J’étais un jeu, une sorte de divertissement pour adultes défraîchis recherchant un souffle de jeunesse. On m’empruntait pour quelques heures, on m’embrassait, me dorlotait, me faisait des guili-guili stupides. Et lorsqu’on était las de jouer avec moi, exténué par tant de folies, on me retournait, argent remis...
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