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Citation de Cielvariable


C'était le genre d'immeuble qui passe inaperçu : trois étages, façade blanche, un lierre parfaitement taillé grimpant jusqu'au toit. À mi-chemin de Sloane Street, dans le quartier de Belgravia, juste à l'angle du grand magasin Harrods. L'une des adresses les plus chic de Londres. D'un côté il y avait une bijouterie, de l'autre une boutique de mode italienne, mais les clients qui venaient là n'avaient plus besoin ni de l'une ni de l'autre. Une seule marche menait à la porte laquée noire qui flanquait la vitrine, décorée en tout et pour tout d'une urne et d'un vase de fleurs. Une plaque discrète en lettres dorées indiquait :

Reed & Kelly

Pompes funèbres

La mort n'est pas la fin

À dix heures et demie, un matin ensoleillé d'octobre, exactement trois semaines avant l'amerrissage d'Alex dans l'Océan Pacifique, une berline quatre portes noire Lexus LS 430 se gara devant l'entrée. La voiture avait été choisie avec soin. C'était un modèle de luxe, mais dépourvu de la moindre fantaisie, sans rien qui pût attirer l'attention. Son arrivée aussi avait été chronométrée avec précision. Au cours des quinze dernières minutes, trois autres véhicules et un taxi s'étaient arrêtés brièvement et leurs passagers, seuls ou par deux, en étaient descendus, avaient traversé le trottoir et pénétré dans le salon d'accueil de l'entreprise de pompes funèbres. Si, par hasard, un curieux avait observé les allées et venues, il aurait conclu qu'une famille nombreuse se réunissait pour procéder aux préparatifs des obsèques d'un proche disparu.

Le dernier arrivé était un homme puissant, à la forte carrure et au crâne rasé. Il émanait une impression de brutalité de son visage au nez petit et épaté, aux lèvres épaisses et aux yeux brun terne. Mais ses vêtements étaient immaculés. Il portait un costume sombre, une chemise de soie et un manteau de cachemire déboutonné. Son annulaire s'ornait d'une lourde bague en platine. Sitôt descendu de la voiture, il écrasa son cigare sous la semelle de sa chaussure vernie. Sans un regard à droite ni à gauche, il traversa le trottoir et entra. Une clochette à l'ancienne, suspendue à un ressort, tinta à l'ouverture puis à la fermeture de la porte.

Le visiteur se retrouva dans une salle d'accueil lambrissée de bois, où un homme aux cheveux gris se tenait assis, mains croisées, derrière un bureau. Celui-ci accueillit le nouvel arrivant avec un mélange de sympathie et de politesse.

— Bonjour, dit-il. Que puis-je faire pour vous ?

— Je viens à propos d'un défunt.

— Un parent proche ?

— Mon frère. Mais je ne l'ai pas vu depuis quelques années.

— Toutes mes condoléances.

Le même dialogue avait déjà été échangé à six reprises au cours de la matinée, au mot près. À la moindre syllabe modifiée, l'homme au crâne rasé aurait tourné les talons et quitté les lieux. Mais il savait maintenant que la voie était libre et l'immeuble sûr. La réunion, programmée vingt-quatre heures plus tôt, pouvait avoir lieu.

L'homme aux cheveux gris se pencha pour presser un bouton dissimulé sous le bureau. Aussitôt, un pan du lambris s'ouvrit pour dévoiler un escalier dérobé menant au premier étage.

Reed & Kelly était une véritable entreprise de pompes funèbres. Jonathan Reed et Sebastian Kelly avaient organisé pendant plus de cinquante ans des funérailles et des crémations, jusqu'au jour où sonna l'heure de leurs propres obsèques. L'entreprise avait alors été rachetée par une société tout à fait légitime, dont le siège social se trouvait à Zurich, qui avait continué de fournir un service de première classe pour toutes les personnes vivant — ou plutôt ayant vécu — dans le voisinage. Mais ce n'était plus l'unique raison d'être de l'immeuble de Sloane Street. Celui-ci abritait également le quartier général d'une organisation criminelle internationale, connue sous le nom de Scorpia.

SCORPIA : les initiales de Sabotage, Corruption, Intelligence et Assassinat, ses quatre activités essentielles. L'organisation avait été fondée une vingtaine d'années plus tôt à Paris, par d'anciens tueurs et espions issus de différents réseaux de renseignements du monde entier qui avaient décidé de se mettre à leur compte. Au commencement, ils étaient douze. Puis l'un était mort d'un cancer et deux avaient été assassinés. Les neuf autres s'étaient félicités d'avoir subi aussi peu de pertes en un temps si long.

Récemment, toutefois, les choses avaient mal tourné. L'aîné des membres du directoire avait pris la décision insensée et inexplicable de se retirer, ce qui avait immédiatement conduit à son élimination. Son successeur, une femme du nom de Julia Rothman, avait à son tour été tuée lors d'une opération dite Épée invisible, qui s'était soldée par un désastre. À bien des égards, ce moment avait été le plus sombre de l'histoire de Scorpia, et beaucoup avaient pensé que l'organisation ne s'en remettrait jamais. En effet, l'agent ennemi qui avait ruiné l'opération et causé la mort de Julia Rothman était un garçon de quatorze ans.

Néanmoins, Scorpia n'avait pas renoncé. Le groupe s'était vengé du garçon et avait repris ses activités. Épée invisible n'était après tout qu'un projet parmi de nombreux autres : Scorpia recevait constamment des demandes de gouvernements, de mouvements terroristes, de multinationales, bref de quiconque ayant assez d'argent pour s'offrir ses services. Et les affaires avaient repris. Les associés de Scorpia s'étaient réunis à Londres afin de discuter d'une mission relativement limitée mais qui pouvait leur rapporter dix millions d'euros, payés en diamants bruts — plus faciles à transporter et plus difficiles à pister que des billets de banque.

L'escalier menait à un petit couloir, au premier étage, terminé par une unique porte. Une caméra de surveillance avait suivi la montée de l'homme chauve dans l'escalier. Une deuxième le suivit quand il posa les pieds sur une étrange plateforme métallique, devant la porte, et tourna la tête vers un panneau de verre encastré dans le mur. Derrière le panneau de verre se trouvait un scanner biométrique qui prit une image instantanée du réseau de vaisseaux sanguins sur la rétine de son œil pour la comparer avec les données enregistrées sur l'ordinateur du bureau de réception. Si un ennemi avait tenté de s'introduire dans la salle de réunion, il aurait aussitôt activé une décharge électrique de dix mille volts dans la plateforme métallique, laquelle l'aurait littéralement incinéré sur place. Mais l'homme n'était pas un ennemi. Il s'appelait Zeljan Kurst et faisait partie de Scorpia depuis sa création. La porte coulissa.

Zeljan Kurst entra dans une longue pièce étroite, avec trois fenêtres en enfilade protégées par des stores, et des murs blancs sans la moindre décoration. Sur la table de verre entourée de sièges en cuir, il n'y avait aucun stylo, aucun papier, aucun document. Au cours de ces réunions, on ne prenait jamais de notes. Rien n'était enregistré. Six hommes attendaient Zeljan Kurst lorsqu'il prit place au bout de la table. Depuis le désastre de l'opération Épée invisible, Scorpia ne comptait en effet plus que sept membres.

— Bonjour, messieurs, commença Kurst.
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