Avant-hier, le 2e bataillon du 3e Étranger, qui avait reçu l’ordre d’évacuer That Khé, est arrivé à Na Cham sans se faire accrocher, en contournant par la forêt le piège du col de Lung Vaï. Après une courte halte, il est reparti pour de nouveaux combats, du pas lent et lourd de parade rythmé par une des plus vieilles chansons de marche de la Légion, Anne-Marie, dont l’auteur demeure aussi anonyme que celui du Boudin, aussi anonyme que n’importe quel légionnaire. Une bouffée d’orgueil et de tristesse m’a alors submergé : comment un pays capable d’attirer de tels hommes pour le servir peut-il si mal utiliser ces trésors de courage, d’intelligence et de dévouement ?
Nous nous acharnons à sauver l’empire d’une métropole qui n’aspire qu’à devenir une Suisse sans histoire, hors de l’histoire. Nos gouvernants — peu obéis, méprisés, mais toujours en place —, notre manière de conduire la guerre, le poids de la Chine, tout concourt à notre défaite. L’héroïsme du corps expéditionnaire, la fidélité et le courage des unités viêtnamiennes n’aboutiront qu’à retarder l’échéance.
Ils semblent posséder une foi, une volonté, ces richesses que les sociétés nanties ne parviennent plus à produire.
Je ressens l’impression désagréable de l’enfant toléré parmi les grandes personnes.