Arseni Tarkovski

Le fardeau d'un corps et d'une conscience fixés sur le bât des mots: telle est la poésie d'Arséni Tarkovski. Cette poésie n'est pas un cri pur, une déchirure à vif, mais plutôt réfractée et réfléchie dans les mots.

Tarkovski médite son expérience, dont celle terrible de la guerre, et par ce filtre donne une figure verbale aux choses, aux sensations, aux sentiments, à la mémoire. Toute une vie souffrante brûle et nous guide et se dresse, refusant de s'abattre: c'est à croire que le bois est reconnaissant envers le feu.

Et au delà de la guerre, loin même de son souvenir, chaque poème est une tentative de cicatrice. On ne quitte pas le sensible. Mais nous sommes moins du côté de la musique que de la pierre. Tarkovski parle volontiers de sa poésie comme d'une architecture, une sculpture, une maçonnerie, et son vers se veut classique c'est à dire précis. Construit de cette manière, le bateau est capable de porter la plus grande charge d'idée et de sens.



À la fois il intellectualise et maintient la pesanteur, l'inclinaison vers la terre: il ne se veut pas d'un autre monde. Toute sa poésie affirme l'indivisibilité et une même plénitude de la vie physique et de la vie de l'esprit. Et dans l'équilibre matériel même du poème, dans son intégrité, deux éléments se fondent: l'esprit et le sentiment. À l'instar de Mandelstam, le fléau du tangible est toujours là pour vérifier la véracité du mot. Poésie d'une médiation du langage indissocié de son objet, elle distancie l'émotion brute, elle écarte aussi l'aventure désincarné du verbe. Elle n'abandonne pas le monde et son indéfinissable promesse et par là même, elle l'interroge. Elle est autant un art qu'un combat de l'esprit.