C'est à Arthur Kleinclausz, biographe de Charmelagne, que Lavisse confia ce volume de l'Histoire de France consacré aux premiers temps du Christianisme implanté en Occident et devenu, malgré lui ou par bonheur ?, l'un des héritiers de la Rome impériale, seul pouvoir temporel et spirituel demeuré dans les lieux après la chute de l'Empire romain d'Occident. Ce fut aussi un "solide rempart" en "Gaule" (mais contre quoi et pour préserver quoi ?), et la greffe qui se fit très tôt en France donna à l'Eglise catholique le moyen de se poser, face à l'autorité politique laïque, en pouvoir et en repère de stabilité, avec de plus une grande capacité à conserver pour transmettre.
Ce que l'auteur dit des invasions barbares n'est cependant plus retenu aujourd'hui, tant notre vision a changé et ne fait même plus référence aux notions de barbarisme ou d'invasion : on sait qu'il y eut mélange, cohabitation, curiosité et envie, de la part des peuples dits "barbares" de s'approprier la culture et la manière de faire des Romains et Gallo-Romains après une longue fréquentation avec ces derniers.
De même, l'histoire des Francs, telle qu'elle nous est présentée, n'est plus traitée de manière aussi générale et "simpliste" qu'elle nous paraît l'être dans cet ouvrage.
Il est vrai que la IIIe République constituait avec cette Histoire de France de Lavisse un monument à la gloire des "héros de la nation depuis les origines". Comme si la nation et la patrie existaient depuis toujours, et qu'elles étaient en germe dans tout ce qui avait précédé 1789, 1848 et 1870-1871. Rappelons que ceux qui mirent en chantier cette Histoire préférèrent donner la vedette aux vieux "peuples gaulois" plutôt qu'aux Francs chez qui l'on voulait ne voir que les créateurs de la féodalité et de la monarchie, toutes choses renversées à la faveur des Révolutions, pour laisser place, progressivement, à la République. C'est donc un peu une vision idéologique et relativement mythifiée de l'Histoire de France qui nous est donnée.
C'est pourquoi, sous la trame des événements et derrière la chronique des règnes des souverains mérovingiens et carolingiens, on sent cette vision déformée de l'Histoire, devenue une histoire nationale, être toujours présente et à l'œuvre dans le choix des épisodes et dans la manière de relater les faits. Toute l'imagerie IIIeme République est là et fait un peu sourire aujourd'hui.
Cependant, ces réserves étant faites, ce livre, contient un bon résumé de l'Histoire de France, des premiers siècles du Moyen Âge en France. Et l'auteur ne tombe heureusement pas toujours dans le cliché : il relativise par exemple ce que l'on disait jusqu'alors à propos des "rois fainéants". C'est pourquoi l'on a toujours plaisir à en feuilleter les pages, pour le plaisir de savoir comment l'on jugeait notre passé jusqu'aux catastrophes des années 1914 et 1939-1940. Surtout que les points saillants sont assez bien soulignés, et les phases admirablement découpées, du moins pour ce que l'on en connaissait à l'époque où Kleinclausz rédigea ce volume de la série.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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