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Citation de dreulma


Murlidharan, l'aliéné qui hantait le passage à niveau, était assis en parfait équilibre sur la borne kilométrique. Il avait les jambes croisées et l'on voyait ses testicules et son pénis pointer vers l'inscription :
COCHIN
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Murlidharan était nu comme un ver, à l'exception d'un sac en plastique cylindrique que quelqu'un lui avait enfoncé sur la tête et qui lui faisait une toque de cuisinier transparente à travers laquelle il continuait de voir défiler le monde, vision certes imparfaite et déformée, mais nullement limitée. L'eût-il voulu qu'il aurait été bien incapable d'enlever son couvre-chef : il n'avait plus de bras. Il se les était fait arracher par un obus à Singapour en 1942, une semaine à peine après s'être enfui de chez lui pour s'engager dans les unités combattantes de l'armée indienne. Après l'Indépendance, il avait obtenu le statut de Combattant de la Liberté, classe 1, ce qui lui avait donné le droit à une carte lui permettant de prendre le train gratuitement et en première pour le restant de ses jours. Mais cette carte, il l'avait perdue ( en même temps qu'il perdait l'esprit), si bien qu'il ne pouvait plus vivre dans les trains ou les buffets de gare. Il n'avait pas de domicile, pas de porte à fermer, mais il avait conservé ses anciennes clés. Solidement attachées à sa taille par une ficelle, elles formaient une grappe luisante. Son esprit était rempli de tiroirs renfermant ses petits plaisirs secrets.
Un réveil. Une voiture rouge dotée d'un klaxon musical. Un verre à dents rouge. Une épouse ornée d'un diamant. Une serviette bourrée de documents importants. Un retour du bureau. Un déolé, colonel S., mais il fallait que je dise ce que j'avais à dire. Et des beignets de bananes croustillants.
Il regardait passer les trains. Et il comptait ses clés.
Il regardait passer les gouvernements. Et il recomptait ses clés.
Il regardait les visages aux traits indistincts des enfants qui écrasaient leurs nez de guimauves concupiscents contre les vitres des voitures.
Les sans-abris, les sans-espoirs, les déclassés, les malades et les égarés, tous défilaient devant sa fenêtre. Et il comptait toujours ses clés.
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