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Citation de JOE5


JOE5
18 novembre 2016
Le captif

Résumé : Face à la prison, une femme attend le jour. Elle relit les lettres censurées de celui qu'elle aime, tente de se croire différente depuis qu'elle est enceinte. « Au demeurant, chaque matin, à son réveil, elle pensait au bébé qu'elle avait dans le ventre, en se disant qu'à ce moment-là, il était lui aussi en train de penser à elle... Parfois elle se contentait d'une simple image : c'était par exemple une jeune étudiante riant de toutes ses dents, les cheveux au vent, preuve vivante que la vie résiste à tout, qu'elle est invincible. Ou bien elle évoquait cette minuscule créature aux mains déjà formées, cette tache en forme d'être humain que décelaient les ultrasons. Le plus souvent, c'était comme un miroir magique embué qui lui renvoyait, projetée hors du temps, une image intemporelle de sa propre jeunesse perdue depuis longtemps... Un petit être à la pensée encore balbutiante scrutait le monde autour de lui et y cherchait non pas l'inconnu, mais des images familières... C'était comme si, jusqu'alors, elle n'avait pas eu d'avenir, comme si, dans sa jeunesse, son seul bien avait été cette jeunesse inutile. Pour la première fois l'avenir prenait forme, grandissait, se logeait dans de la chair et des os... Cette créature tiède, bien vivante, qui bougeait, était faite à la fois de son sang et de ses rêves à demi brisés. C'était une attente bien définie. Un vrai miracle. « Je suis une femme qui attend un enfant », disait-elle à tout venant et hors de propos... Comme si elle n'y croyait pas elle-même. » « Secoue un peu la poupée, époussette-la et mets-la devant le miroir. Débarrasse ses yeux de ces traces de larmes, mets-lui son masque de jour, rend-la séduisante. Aie soin de cacher sa pâleur sous plusieurs couches de rimmel et de fard, si tu veux pouvoir l'insinuer dans le monde des humains. » « C'est alors qu'apparaissait la Femme. La Déese des marais. Elle se dressait parmi les morts et progressait dans la boue à la force des mains. Enfoncée dans la fange jusqu'aux hanches, elle plongeait ses racines au plus profond de la mémoire du monde. Des mousses, des feuilles mortes, des limaces s'accrochaient à ses cheveux, les bêtes des marais lui avaient dévoré les yeux. Elle cachait l'homme sous sa jupe, dans la boue chaude, molle et gluante. Quand l'obscurité s'épaississait, les chasseurs et les chiens s'en allaient. Quand apparaissaient les terrifiantes lueurs vertes, que des milliers d'yeux venimeux prenaient la place des étoiles, que des myriades de chemins surgissaient pour disparaître aussitôt et que l'on n'entendait plus que les râles du vent, personne n'osait plus s'aventurer dans le marécage. A part la Femme... Elle appartenait à ces lieux. Ce vent, ce silence, ce vent terrifiant étaient son univers. La nuit du marécage dans laquelle morts et vivants s'interpellaient, et où le noir du sol se confondait avec celui des hommes. Elle cachait dans son sein les égarés, ceux qui s'étaient perdus, les vaincus... Ala pâle lumière de la lune, sans un mot, en se déchirant, elle donnait à nouveau naissance à l'homme. Mais c'est un monstre qu'elle mettait au monde, il avait les bras à la place des jambes et les jambes à la place des bras. Il s'ébrouait et reprenait sa fuite, en s'efforçant de courir, clopin-clopant, sur ses bras chétifs. En tombant et se relevant, en trébuchant et en rampant... La Femme lui tendait une échelle tressée dans ses propres cheveux. « Sauve-toi par ici », disait-elle, en montrant le chemin ouvert dans les eaux noires par ses lourdes larmes limoneuses... »
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