Chaque jour, une cage emprisonnera un nouvel oiseau, chaque jour...
Ils ( le régime turc) ont le contrôle absolu du système judiciaire, dont l’indépendance est la clé de voûte de tout régime démocratique. Seuls les régimes totalitaires ont un système judiciaire aussi corrompu. C’est un peu comme si le pouvoir en Turquie était tenu par des enfants de 5 ans qui jouaient avec des armes très puissantes. Et moi, je suis dans le collimateur... .
J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur une branche, comme on arrache une racine. Il te reste le murmure que tu perçois en plaçant ton oreille contre un coquillage vide. La vie : mot qui s'insinue dans ta moelle et dans tes os, murmure évoquant la douleur, son qu'emplissent les océans.
Finalement, elle comprit que la seule personne capable de donner un sens au vide qui l'entourait, c'était elle. Personne d'autre ne pouvait à sa place déchiffrer les énigmes de la vie, ouvrir les cadenas. Elle avait commencé à écrire le jour où elle avait déterminé sa position de défense contre la violence aveugle de la ville.
Autrefois, il y a bien longtemps, en cet âge d'or qu'on ne reverra jamais, alors que l'éternité ne se heurtait pas encore au temps, il y avait de la lumière. Et le verbe. Et le coeur né du verbe. La terre et la forme. Mais rien de tout cela n'était suffisant pour que s'épanouisse le monde des hommes.
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Les émotions et l’expérience ne nous reviennent qu’ensuite, bien plus tard. Sous une forme méconnaissable, comme du marc de café refroidi…Elles poussent puis chutent, comme des épines n’ayant pas su trouver un coin de notre identité où se ficher.
Ma foi dans les mots est inébranlable.
Asli Erdogan - Interview, La grande librairie diffusée le 9/3/2017
Mais revenons à A.. Personne ne fait attention à lui. Il gît comme un sac vide devant une fenêtre. Il s'est vautré ainsi devant toutes les portes auxquelles il a frappé. Toutes les rues lui appartiennent, mais il ne va nulle part. [...] La vitre crasseuse réfléchit l'image de son existence. Elle est couverte de taches. Son existence est un poème sur l'homme.

Lettre de prison de Asli ERDOGAN
Chères amies, collègues, journalistes, et membres de la presse,
Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakırköy, au lendemain de l’opération policière à l’encontre du journal Cumhuriyet, un des journaux les plus anciens et voix des sociaux démocrates. Actuellement plus de 10 auteurs de ce journal sont en garde-à-vue. Quatre personnes dont Can Dündar, (ex) rédacteur en chef, sont recherchées par la police. Même moi, je suis sous le choc.
Ceci démontre clairement que la Turquie a décidé de ne respecter aucune de ses lois, ni le droit. En ce moment, plus de 130 journalistes sont en prison. C’est un record mondial. En deux mois, 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés. Notre gouvernement actuel veut monopoliser la “vérité” et la “réalité”, et toute opinion un tant soit peu différente de celle du pouvoir est réprimée avec violence : la violence policière, des jours et des nuits de garde-à-vue (jusqu’à 30 jours)…
Moi, j’ai été arrêtée seulement parce que j’étais une des conseillères d’Ozgür Gündem, “journal kurde”. Malgré le fait que les conseillères n’ont aucune responsabilité sur le journal, selon l’article n°11 de la Loi de la presse qui le notifie clairement, je n’ai pas été emmenée encore devant un tribunal qui écoutera mon histoire.
Dans ce procès kafkaïen, Necmiye Alpay, scientifique linguiste de 70 ans, a été également arrêtée avec moi, et jugée pour terrorisme.
Cette lettre est un appel d’urgence !
La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante. Je suis convaincue que l’existence d’un régime totalitaire en Turquie, secouerait inévitablement, d’une façon ou d’une autre, aussi l’Europe entière. L’Europe est actuellement focalisée sur la “crise de réfugiés” et semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous, -auteurEs, journalistes, Kurdes, AléviEs, et bien sûr les femmes - payons le prix lourd de la “crise de démocratie”. L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que “l’Europe est l’Europe” : la démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression…
Nous avons besoin de votre soutien et de solidarité. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous, jusqu’à maintenant.
Cordialement.
Aslı Erdoğan, le 1er novembre 2016
Prison Bakırköy Cezaevi, C-9, Istanbul
Traduit du turc par le site Kedistan