Extrait
Essoufflée, Angèle parvint au terme du sentier escarpé et caillouteux qui menait au mas Picagnole. Les yeux de la jeune fille, bleus comme un ciel de Provence, s'attardèrent quelques instants sur la vallée. Llauro, niché paresseusement dans son écrin de verdure, somnolait, bercé par le murmure d'une imperceptible tramontane et par le tintement mélodieux des sonnailles. Les troupeaux, impatients de retrouver un soupçon de fraîcheur, se hâtaient de regagner leur bergerie, sous l’œil attentif du pâtre agitant sa houlette. Enveloppé dans un nuage de poussière ocre, le bétail trottinait vers le village, tête baissée, obéissant aux jappements des chiens hargneux. Au-delà des collines verdoyantes s'érigeait la crête immaculée du Canigou, majestueux et fascinant mont sacré du peuple catalan. Le visage de la jeune fille se figea. D'un mouvement brusque, elle ajusta son chapeau de paille et saisit sa lourde valise. En contemplant le village qui s'étalait sous ses yeux, elle essuya furtivement une larme qui perlait sur sa joue écarlate. Les deux semaines qu'elle s'apprêtait à passer auprès de sa grand-mère n'étaient pas dues au hasard. Depuis quelques mois, elle ressentait le besoin impérieux de revenir sur la terre de son enfance, de fouler le sol de sa chère campagne et de réveiller des nuées de souvenirs à la vue de personnages oubliés. Quand bien même elle serait difficile à entendre, elle était venue chercher la vérité. C'est à ce prix que son coeur cesserait de saigner. C'est ici et pour l'éternité qu'il continuerait de battre.
En cette agréable fin d'après-midi d'automne, un généreux soleil inondait encore la terrasse envahie d'un tapis multicolore de splendides asters. L'angélus du soir carillonnait lorsqu'elle poussa la porte entrebâillée.
- Ouh ! Ouh ! Mémé Antonia, c'est moi. Après avoir jeté un coup d'oeil sur l'horloge, la
vieille dame se redressa péniblement en s'exclamant :
- Te voilà enfin, mon Angèle ! Le temps me durait depuis que tu m'as annoncé ton arrivée. J'allais venir à ta rencontre. A force de lorgner les aiguilles de la pendule, j'ai fini par m'assoupir. Le cliquetis du balancier a toujours eu le don de m'endormir.
Épongeant son front moite de sueur, la demoiselle laissa tomber son volumineux bagage sur le parquet, avant de serrer tendrement son aïeule dans ses bras. En sentant le cœur d'Antonia palpiter contre sa poitrine, elle tressaillit. D'insupportables souvenirs ressurgirent aussitôt de sa mémoire. (...)
Nom de Dieu, j'ai tellement faim que j'avalerais le cheval du père Gaspard entre deux matelas!
Les murs d'enceinte cernaient tout un lacis de ruelles fleuries aux senteurs de garrigue, pavées de pierres inégales et bordées de vieilles maisons.