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Citation de ChristalDarck


Oural rêva qu'il était un requin et qu'il filait dans l'océan, ondulant en apesanteur dans les eaux bleues. Sa queue battait pour propulser son corps immense. Son aileron dorsal lui permettait, d'un coup de nageoire, de virer d'un côté à l'autre, et dans ces moments, ses flancs puissants s'arquaient avec souplesse. Jamais il n'avait connu une telle liberté. Il respirait la force et les poissons se dispersaient craintivement devant lui.
La faim pourtant le taraudait et l'envoyait en avant, en chasse. Son odorat subtil avait détecté une molécule de sang, perdue dans le volume immense de la mer. Oural remontait le flux en une accélération continue. Sa faim grandissait au fur et à mesure qu'il approchait.
La viande sanglante flottait dans les courants. Il la goba avec voracité et ne sentit pas tout de suite la pointe de métal qui lui perçait le palais. Quand la saccade lui tordit la tête en arrière, le crochet lui fora la gueule. Paniqué, il se débattit. Impossible de se libérer. La chose le tirait irrépressiblement vers le haut, elle l'aspirait vers la surface.
Les vagues se déchirèrent. Le choc brutal, contre la coque du bateau, lui fit presque perdre connaissance, mais surtout, il manquait d'air. Ses branchies se dilataient en vain pour pomper l'oxygène. De nouveau, l'impitoyable crochet le souleva par la bouche. Son corps franchit le bastingage. Il s'arqua en arrière, sans pouvoir résister à la traction. Il heurta la sol où il convulsa, frappant désespérément le pont du navire de la queue et de la tête. Des formes indistinctes se dressaient autour de lui. Il claqua des mâchoires. Ses forces le quittaient. Il se noyait dans l'air.
La douleur le ranima. Une douleur atroce, au niveau de son aileron. Suivie immédiatement de la même brûlure aux nageoires.
On lui arrachait les membres, on le découpait vivant.
La gueule béante, il poussa un hurlement muet.
Seuls des rires lui répondirent.
Son sang giclait de ses blessures. L'odeur de son propre sang l'amena au bord du vertige. Les ombres finirent de lui trancher les membres. Déjà on le saisissait. Il se retrouva en l'air, bascula par-dessus bord et claqua les flots en une gifle monstrueuse.
L'eau. L'eau. L'eau.
Il voulu plonger, mais il était incapable de bouger. Son corps se tordait en vain. On lui avait coupé l'aileron, les nageoires. Et maintenant, impuissant, il coulait comme une pierre. L'oxygène ne circulait plus dans ses branchies. Son sang formait des voiles mouvantes et écarlates qui drapaient sa chute inexorable. La souffrance, la terreur accélérèrent son cœur. Par malheur, cela contribua à le vider plus vite de son sang.
Pendant de longues minutes, il traversa des centaines de mètres, vertical, continuant de se tordre en vain pour tenter de nager.
Les ténèbres l'enveloppèrent. Il coulait, atteignant les abysses, oublié de tous, mais toujours vivant. Puis ce fut l'impact. Son corps mutilé heurta le sol gluant. Il cessa de remuer, à bout de souffrance et de force, son gros cœur sur le point d'éclater de solitude, d'incompréhension et d'épouvante.
Il se retrouvait abandonné dans un désert de sable gris, froncé de petites dunes sous-marines qui s'étendaient en silence autour de lui. Tout était vide. Il était seul, planté dans la vase, échoué avec ses plaies béantes qui continuaient de saigner. À plusieurs centaines de mètres de lui, il distingua le monticule noirâtre d'une carcasse de baleine, couverte de myxine grouillante. C'était comme une vision d'horreur de ce qu'il allait devenir à son tour. Car il se mourait, incapable désormais de nager, de respirer. Seul. Tout seul.
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