Aurélie Wellenstein: « Jai envie aujourdhui de montrer des personnages qui sentraident » (Interview Double Vie)
La succession des petites dunes sous leurs pieds, pareilles à des vagues immobiles, évoquait la mer disparue. Les arêtes de milliers de poissons luisaient dans les derniers rayons de soleil et face à eux, le crépuscule jouait sur les falaises, les colorant d’innombrables nuances de violet, mauve, ocre, fauve et blond. Au sommet des murailles de calcaire, un peu d’herbe jaunie bruissait à chaque coup de vent.
J'aidais les femmes de mon village à accoucher, expliqua Rixende. Et plusieurs fois, j'ai aidé certaines d'entre elles à avorter. On m'a dénoncée pour ça... Tu comprends ce qu'ils nous reprochent ? La maîtrise de notre corps et de notre sexualité. Et également d'aider d'autres femmes à faire de même...
Une raie manta.
Elle flottait, immobile, à l'envers. Sa cage thoracique décharnée, blanche, était gonflée par les gaz. Ses grandes ailes noires ondulaient mollement dans les courants marins. Ses yeux étaient pochés, morts. Elle faisait deux fois sa taille.
Comme toujours Oural fut giflé par l'horreur de ses blessures. Les branchies de l'animal dégorgeaient en silence un liquide noir et son torse éthéré, trouvé par un harpon, se décomposait en bouts de chair filandreuse.
La végétation était dense, le bois profond et touffu. Il était immergé dans un océan de nuances vertes et brunes, qui sentaient la terre, l'écorce humide et la sève. Des racines le faisaient trébucher. Des ronces s'accrochaient à son pantalon ou à ses manches. Le jeune homme, affamé, frigorifié, marchait le dos voûté, ses cuisses tiraillées par les courbatures, les pieds alourdis de boue. Le poids du casque l'obligeait à incliner le front comme une bête malade. La marche le vidait de ses forces et des élancements soudains, très douloureux, lui transperçaient les pieds et les mollets. Parfois, il tressaillait des pieds à la tête, lorsqu'il s'endormait en marchant.
Oural s’accouda aux créneaux de la forteresse, ses avant-bras tatoués appuyés contre la pierre ocre et rugueuse, chaude de soleil. Le désert s’étalait depuis les remparts jusqu’à l’horizon tremblotant de chaleur. Difficile d’imaginer qu’il y a encore quinze ans de cela, une mosaïque de prés salés et de prairies inondées bordées de roseaux entourait la citadelle. La disparition des mers et des océans, par ricochets climatiques, avait métamorphosé cette région marécageuse en un chaos de roches basses, strié de crevasses, de sable fauve parfois vitrifié en coulures noires, et d’éboulis de terre rouge.
(incipit)
Cillian était assis à même le sol dans la chapelle. L'édifice était petit et ancien, rongé par le vent de mer. De rudes piliers soutenaient une voûte où pendaient les ex-votos des marins. Une senteur de caveau flottait dans l'air rance, mêlée d'une odeur de salpêtre. Les cierges étaient tous éteints, noyés dans leur cire. En arrivant, Cillian avait encore pu voir des représentations de l'Esprit Saint, sculptées dans des niches dans les murs. A présent, l'obscurité envahissait tout et l'averse tambourinait contre les parois en pierre.
Une relation saine nous aide à nous sentir nous-mêmes.
Le Groenland est un sanctuaire marin, expliqua le médecin. Les deux pôles de la planète ont été longtemps des refuges climatiques pour les animaux et les humains. Des souterrains courent sous toute la surface du Groenland. Les nappes phréatiques y sont nombreuses. C’est une des dernières oasis du monde. Un endroit magnifique, encore baigné par la mer.

Des tableaux indistincts étaient accrochés aux murs. Un rayon de soleil blafard éclairait l'un d'eux. En l'avisant, Cillian esquissa une moue : il représentait un homme pendu à un arbre mort. Un cocon de soie enveloppait le cadavre. Alors qu'il l'observait, une araignée se mit à courir sur le tableau et Cillian se recula précipitamment. La petite bête s'évanouit dans l'obscurité avant qu'il ait pu voir de quelle espèce il s'agissait.
Il en existait de toutes sortes. La "veuve noire" était la plus commune. C'était cette race en particulier qui tissait dans les pensées et engluait l'esprit de leurs proies. Beaucoup plus rare, la "lycose de Tarente" dotait ses victimes de pouvoirs mystiques : les femmes changées en redoutables sorcières étaient traquées par l'inquisition ; les hommes, la plupart du temps, en mouraient, mais il arrivait qu'ils obtiennent par ce biais "l'Illumination", qui les propulsait au sommet de la hiérarchie ecclésiastique. L'araignée "fileuse" était apparentée à la race précédente, mais suscitait simplement des rêves prémonitoires. Les "araignées rouges" transmettaient la rage. Les "marionnettistes" étaient capables d'animer les cadavres. Les "araignées-dragons" collectaient des trésors, et enfin les "araignées-vampires" suçaient le sang. D'autres s'ajoutaient sans doute à cette liste, et l'un des jeux préférés des enfants était d'inventer les races les plus terrifiantes possible.
C'était bizarre, poursuivait le capitaine. Des milliers de gens venaient se presser dans l'eau. Cela coûtait très cher et au final, on ne faisait que flotter dans une marée humaine. L'eau était grasse et huileuse de crème solaire. Il n'y avait déjà plus de poissons à l'époque. La couleur de l'eau était dégueulasse, de la boue rouge. C'était un présage évident de la future catastrophe, pourtant, tout le monde faisait semblant de trouver ça génial. Personnellement, j'en garde un assez mauvais souvenir.