Aurore Méchain

En décrivant l'action complexe de la lumière sur la surface réfléchissante texturée des Outrenoirs, Soulages se réfère à l'un des mythes originels de la peinture, selon lequel Platon a déclaré : "J'appelle images d'abord les ombres ensuite les reflets qu'on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants et toutes les représentations semblables".

Natalie Adamson

Je vais faire un poème sur le pur néant :
Ce ne sera pas sur moi ni sur d'autres gens,
Ce ne sera pas sur l'amour, sur la jeunesse,
Ni sur rien d'autre,
Il vient d'être trouvé tandis que je dormais
Sur mon cheval.
[...]
Je l'ai fait ce poème, et je ne sais sur qui ;
Et je vais le faire parvenir à celui
Qui me le fera parvenir par autrui
Là vers l'Anjou,
Pour qu'il me fasse parvenir de son étui
La contre-clé.

Guillaume IX d'Aquitaine (1071-1127)

Après un tiers de siècle de peinture de type classique quant au rapport à la lumière, de 1946 à 1978, Soulages, en janvier 1979, est passé, par une rupture radicale et soudaine, à une "peinture autre", où la toile entièrement couverte d'un fluide au pigment noir n'est pourtant pas monochrome et n'apparaît jamais noire parce qu'elle accueille par reflet la lumière qu'elle renvoie vers le regardeur.

Pierre Encrevé

Les Outrenoirs induisent reflets et ombres grâce à leur étonnante tactilité visuelle. De petites zones miroitent sur la surface, des parties extrêmement brillantes contrastent avec des parties mates et denses, la texture lisse et luisante laisse place à des sillons irréguliers.

Natalie Adamson

Pierre Soulages a constamment souligné qu'il n'a jamais projeté ni conçu ses tableaux à l'avance, mais que les formes, la composition, les idées voient directement le jour dans le processus artistique et le geste de peindre.

Hermann Arnhold

Soulages une nuit de janvier 1979, était confronté à un doute, une incompréhension devant ce qu'il faisait, et devant sa propre obstination à "patauger dans une espèce de marécage noirâtre depuis des heures". Il va dormir une heure, revient et découvre ce qu'il ne pressentait pas : la lumière sur la surface intégralement noire du tableau joue par reflets et anime toute la matière peinte ; elle accentue les traces, passages ou morsures des outils, les plages multiples basculant du clair au sombre si on se déplace devant la toile ; elle fait définitivement échapper à la monochromie le noir unique employé par le peintre.

Benoît Decron & Pierre Encrevé

Parmi les 98 architectes et agences candidats, les catalans RCR Arquitectes furent choisis en 2008. Ils ont fait du musée un vaste vaisseau d'acier Corten dans un jardin public, le Foirail. Soucieux de son intégration étroite dans l'univers végétal, ils ont choisi une matière singulière dont les couleurs mouvantes de rouille [ne sont] pas sans rappeler la prédilection de Soulages pour le brou de noix.

Benoît Decron & Pierre Encrevé

La relation fondatrice des outrenoirs aux vitraux de Conques repose sur une réalité autrement décisive : que Soulages travaille le fluide noir ou le verre blanc, c'est à la même émotion profonde, très enfouie en lui-même, que, nolens volens, il s'expose dans la mise en oeuvre du seul et même obscur désir de la lumière, avec ses prises et surprises.

Pierre Encrevé

La lumière venant de la toile vers le regardeur crée un espace devant la toile et le regardeur se trouve dans cet espace ; il y a une instantanéité de la vision pour chaque point de vue, si on en change il y a dissolution de la première vision, effacement, apparition d'une autre : la toile est présente dans l'instant où elle est vue.

Natalie Adamson

Les Outrenoirs donnent à voir une surface qui séduit le regard et produit un véritable plaisir optique, et pourtant ces peintures revendiquent le statut d'objet impassible.

Natalie Adamson