Ce livre m'a été envoyé grâce à l'opération "Masse critique" et j'en profite pour remercier Babelio de cette super initiative, de même que les Presses universitaires du Midi. Je l'ai choisi car il parlait de l'enseignement en France et qu'en tant que professeur en Belgique, je voulais comparer les deux systèmes. J'ai été déçu de constater qu'il était écrit par un sociologue (et donc comme souvent dans ces cas-là, "essentiellement pour des sociologues".) La documentation et la culture de l'auteur sont extraordinaires (de très nombreuses citations toutes bien référencées et variées, un propos très argumenté, une bibliographie de plus de 20 pages) mais les tournures de phrase et le vocabulaire s'adressent selon moi à une élite, sans parler de certaines abréviations (mais je devais m'y attendre) typique de l'enseignement en France.
Par exemple, dans le sous-chapitre "Une jeunesse sacrifiée sur fond de déstabilisation de la relation Formation-Emploi?" (déjà rien que le titre est costaud, on voit que ce ne sera pas un chapitre que l'on pourrait trouver dans un magazine pour adolescents…) le grand nombre de données chiffrées aurait été plus parlant avec un ou des schémas. J'ai lu attentivement, je peux même préciser qu'il manque un "de" juste après la citation page 95 (Depuis près DE 30 ans…) mais j'ai dû m'accrocher!
J'ai pu apprécier certains arguments et profiter d'une partie de l'ouvrage car je suis un gros lecteur et que je connais le domaine (ce qui se déroule en France est, comme je le pensais, proche de ce qui se déroule en Belgique même si l'auteur y parle tard les sujets concrets que j'attendais "tronc commun, redoublement, apprentissage des langues, des nouvelles technologie…" mais évoque plutôt l'aspect philosophique, économique et surtout sociologique de l'enseignement.) Plusieurs fois dans le livre, les "notes en bas de page" occupent plus de place sur la page que le texte lui-même. Et vu la taille de leur police, la nécessité de concentration pour les assimiler est encore plus élevée!
J'ai reconnu mes collègues dans l'extrait de Dubet "Le sentiment d'immobilisme tient surtout du fait que le monde enseignant s'adapte aux contraintes du métier bien plus qu'il ne s'engage dans un changement maitrisé…" Car en effet, sur de nombreux points, les enseignants craignent le changement alors qu'ils ne rechignent pas à fournir des efforts considérables dans l'exercice de leur fonction.
La citation de Durkheim pages 23-24 pourrait être gravée sur les murs de certaines écoles (non, je ne cite pas tout, je vous laisse découvrir).
Un peu plus loin (page 108) j'ai été surpris d'apprendre que c'est parmi les jeunes décrocheurs que l'on trouve le plus de ressentiment à l'encontre de l'école qui n'a pas su les mobiliser et les encadrer.
Encore plus loin, j'ai été choqué par le passage sur la loi Guizot qui "défend l'accès des élèves issus du peuple à une culture plus élevée mais sans aller jusqu'à leur donner - et c'est là que c'est choquant pour moi - des goûts et des habitudes incompatibles avec la modeste condition dans laquelle il leur faudra retomber." Optimisme quand tu nous tiens… Heureusement ce texte date de 1833.
Certaines statistiques me paraissent être interprétées de façon péremptoire comme par exemple le fait que le redoublement soit inutile puisque les élèves qui le subissent une première fois le revivent souvent dans leur parcours scolaire. Selon moi, cette statistique ne prouve qu'une évidence: qu'un jeune qui a des difficultés n'est pas définitivement sauvé parce qu'il a eu plus de temps pour les surmonter. A mon avis, le redoublement pourrait être jugé néfaste si, l'année même de ce redoublement, une grande partie des élèves régressaient ou ne progressaient pas. Mais qu'un élève plus lent ait besoin d'une année pour compenser le léger, puis moins léger puis de plus en plus important retard accumulé ne parait pas farfelu et ne présuppose en rien qu'une fois son retard comblé, il n'accumulera à nouveau pas un peu de retard chaque année par manque de mémoire, de travail, de facilités de compréhension ou que sais-je encore? Le redoublement, ce n'est jamais que revoir ce qu'on n'a pas assez bien compris pour pouvoir aller plus loin. Si je ne comprends pas quelque chose, ma première demande sera qu'on me réexplique, pas qu'on poursuive l'explication… Alors oui, le redoublement PEUT vexer des élèves. Mais j'ai regarder aujourd'hui un reportage de la RTBF concernant des jeunes qu'on avait "laissés dans le fond de la classe". Peut-être n'ont-il pas doublé… Mais en fin de scolarité, ils étaient carrément ANALPHABETES à 18 ans. Cela me parait pire que d'avoir recommencé une première ou une deuxième primaire et d'avoir réussi à rattraper ce retard (quitte à doubler à nouveau 3 ou 4 ans plus tard) plutôt que de passer sans être pris en compte. Un élève m'a dit un jour en 3P "Vous savez Monsieur, moi j'ai eu mon CEB - diplôme de l'enseignement primaire en Belgique - parce que l'enseignant a écrit toutes les réponses au tableau pour qu'on l'a - oralité de l'élève de 16 ans nés en Belgique respectée ici - tous. Et on l'a tous eu. Puis en première commune, j'ai TOUT raté. Mais tout hein! Alors j'ai fait une première supplémentaire où j'ai tout raté (sauf religion) et je suis passé en 3ème parce que j'étais trop âgé. Alors chez vous, je vais tout rater mais il ne faut pas vous tracasser. " J'ai trouvé ce témoignage dramatique. Alors interpréter des statistiques, oui mais attention car on peut dire tout et son contraire avec certains chiffres.
Le 3ème chapitre qui évoque l'autorité m'a beaucoup plus convaincu. Je suis assez d'accord avec les conclusions de l'auteur quant à une transformation de l'autorité (plus explicitée et fonctionnelle) qui reste une autorité car celle-ci est nécessaire pour enseigner. Par contre, l'auteur explique que les budgets alloués aux ZEP (acronyme que je connaissais) n'ont pas servi à grand-chose car ils ont été détournés de leur objectif pédagogique au profit de la lutte contre la violence. Mais lutter contre la violence à l'école me permet la condition minimale pour pouvoir aborder le pédagogique dans des conditions acceptables. Chez nous aussi, les écoles à public difficile mettent plus de moyens en place pour l'accrochage scolaire et la prévention (violence, assuétude, grossesses précoces…) que sur le plan pédagogique. Je trouve cela cohérent.
Le sous-titre "égalité des chances en question" m'a beaucoup attiré et a été développé même si cela s'est fait de façon moins "pratique" que je l'espérais. J'aurais souhaité plus de pistes de solutions concrètes. J'ai relevé l'idée de commencer l'enseignement plus tôt car plus les différences se sont creusées au départ, moins on saura y remédier en France (et en Belgique aussi.) Il y a plusieurs autres pistes mais que soit je connaissais déjà (comme la bienveillance) soit que je trouve difficiles à mettre en place seul car elles concernent les écoles et pas juste les enseignants. L'auteur explique que c'est un mythe puisque cette "égalité" est déjà un concept à définir clairement. S'agit-il de l'égalité des aides pour chacun? S'agit-il d'une différences entre les aides fournies à chacun en fonction des aides qu'il reçoit à la maison? L'auteur explique que la "méritocratie" n'est qu'un leurre car impossible à appliquer de façon 100% objective. Je le suis à 100%. Ce qui m'a le plus étonné dans ce livre est tout ce que l'Europe fait pour améliorer la vie des Etats membres (chapitre 1). J'avoue que je faisais plutôt partie de la foule imaginant que l'Europe ne profitait qu'à la BCE (et à la limite à l'Allemagne…)
La conclusion m'a semblée plus optimiste et plus concrète que l'ensemble du livre.
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