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Citation de mimo26


Le détenu

Y en a un qui s’est chié dessus. Mopar Horn ignore s’il s’agit d’un maton ou d’un détenu, mais l’air du salon pulse en alerte rouge pour cause d’odeur de merde. Mopar se frotte les yeux. Il est accroupi contre un piano droit, s’accroche à un de ses pieds incurvés cependant que le monde tente de se dérober sous lui.
— Putain, calmez-vous et on pourra vous desserrer tout ça, dit Mitch Howard depuis le couloir.
Il porte encore la grande casquette de gardien à huit pointes qu’il avait mise pour que les vigiles du mirador ne voient pas qu’il est noir. Elle est trop petite pour lui et elle gigote sur le haut de sa tête quand il parle.
— Quoi? dit Mopar. Putain, qu’est-ce que t’as dit?
Les lunettes à monture fine d’Howard sont de travers à cause de la course. Il les ajuste d’un coup d’index gros comme un avant-bras de nouveau-né. Howard est énorme.
— C’est à eux que je m’adresse.
Il parle des trois matons qui se tiennent à genoux sur la
moquette rouge du salon. Ils ont les mains menottées derrière le dos, et leurs visages sont bouffis comme des tomates d’automne. Deux d’entre eux ont décidé de se calmer, et ils travaillent à maîtriser leur respiration, mais le blond frotte ses menottes contre un de ses talons ferrés. Sa respiration sort par souffles écorchés après avoir franchi le garrot de cuivre, ses épaules enflent sous sa chemise, du sang goutte de ses poignets pour se fondre dans la moquette.
Sang rouge, divan rouge, fauteuils de salon rouges, et
une lampe de table à abat-jour rouge. Même les lumières du sapin de Noël. Mopar s’essuie le front avec la manche de sa chemise de gardien et cligne des yeux pour s’éclaircir la vue.
Mais le putain de rouge reste, partout. Il y a aussi un bruit. Un bruit rouge. Un vrombissement et une palpitation, comme un battement de cœur. Ça vient d’où, bordel? Mopar attrape sa cravate par le nœud, la desserre d’un coup sec, puis l’arrache par le haut et la jette contre un mur.
— Où est passé tout le monde ? dit-il. Putain, où est passé
tout le monde ?
Personne ne lui répond. La vieille femme est courbée sur le divan, cheveux fanés tirés en un petit chignon comme un bout de bois qu’elle se serait planté dans le crâne avec un clou de sept centimètres. Les deux autres détenus, Wesley Warrington et Bad News Dixon, sont affalés sur des fauteuils du salon. Il n’y avait pas assez d’uniformes de gardiens pour tout le monde, alors ils sont encore vêtus de leurs pantalons et vestes en jean de détenus.
Dans cette pièce, il n’y a personne d’autre. Il y avait eu au
moins douze gars qui s’étaient échappés par la porte nord.
Mopar s’en souvient.
— Putain, où sont passés les autres? dit-il.
— Ils se sont tirés, dit Howard. Y a plus que moi, toi, Warrington et Bad News. C’était notre plan.
— Je me souviens pas de ça. C’est pas un plan que j’ai entendu avant. Putain.
— C’est mon plan à moi, dit Howard. Te tracasse pas ta
petite tête de con pour ça.
— Putain. Merde. (Son cerveau enfle. Mopar respire par la bouche. Sa tête est sous pression, prête à exploser.) Ils ont sonné l’alarme ? J’ai pas entendu l’alarme.
— Ça va aller, vieux, dit Howard. Concentre-toi sur ta respiration.
Mopar a envie de se déchaîner sur lui avec son fusil scié
artisanal. Traite-moi comme un putain de con et je te repeins les murs en rouge. Un rouge encore plus rouge. Et ce bruit dans sa tête, encore, ce vrombissement. Comme une pulsation de sang dans les murs de la pièce. Respire.
Par la fenêtre, les montagnes scintillent, hirsutes et grises
derrière la neige qui tombe, sous un soleil comme une lanterne qu’on abaisserait entre les pics. Mopar regarde. Travaille à se calmer. Respire, tête de nœud. C’est le premier coucher de soleil que tu vois en dix ans. Respire.
Le maton blond continue à se débattre avec ses menottes. Il a des cheveux fins comme des cheveux de bébé, et dessous, il a le crâne rose. Soudain, ses yeux s’exorbitent et le gauche se met à pisser le sang, capillaires explosés. Il tombe la tête en avant et convulse comme un mille-pattes sur un poêle.
— Donne-leur du mou, dit Howard à Mopar. Donne-leur du mou avant qu’un de ces enculés de bouseux crève.
Il me parle comme à un putain de gosse. Mopar n’aurait pas bougé le petit doigt même s’il avait pu. Ces matons peuvent crever.
— J’y vais.
Bad News se lève de son fauteuil. Ils avaient fabriqué leurs
garrots à l’atelier de la prison. Une boucle de fil de cuivre et une poignée en bois. Bad News fait se lever le maton blond en tirant sur la poignée derrière sa nuque, le fil s’enfonce dans le cou, un collier de sang se forme. Le visage du maton passe du rouge au violet et sa langue enfle entre ses lèvres. Bad News tire encore puis laisse l’homme retomber sur ses genoux, torse droit. Mais il ne lâche pas la poignée.
— Active, dit Howard. L’est pas prévu que ces bouseux claquent pour le moment.
— Ça me dérangerait pas trop, dit Bad News.
Il est jeune et nerveux, a des airs de type souffrant d’un trouble de la personnalité borderline. Ses yeux exorbités ne sont que pupilles. Il dit que c’est le LSD qui a cramé ses nerfs.
Il dit que si tu prends assez de LSD, on te déclare juridiquement
fou. Il dit qu’il en a pris encore six fois plus que ça et que si tu le crois pas t’as qu’à demander à l’autre salope, là-bas, à Boulder. Sauf qu’on peut plus rien lui demander du tout.
Le maton blond essaie d’agripper le fil qui lui enserre le cou. Bad News tient toujours la poignée.
— Lâche-le, dit Howard à Bad News.
Bad News fait tourner la poignée et détend le fil de cuivre.
Le maton tombe vers l’avant, tousse. Vomit sur la moquette.
Bad News donne du mou aux deux autres, qui se crispent tous les deux en sentant sa main se serrer sur la poignée.
— Tu vas regretter de pas avoir tué ces fils de putes, dit-il.
— Je vais rien regretter, dit Howard. Essaie de voir si tu peux gratter des trucs à manger.
— Viens, Warrington, on y va, dit Bad News.
Ils passent à côté d’Howard et sortent du salon.
Howard regarde la vieille femme sur le divan.
— Comment tu t’appelles?
La vieille femme a le regard ailleurs, fixé sur rien de précis.
Elle ne semble pas affectée par ce qui se passe autour d’elle.
Elle tourne la tête, pose ses yeux gris sur Howard.
— Pearl, dit-elle.
— Tu es mariée, Pearl?
Elle sort une cigarette roulée et une allumette de cuisine de la poche de son tablier et l’allume. Elle secoue l’allumette et la jette sur la moquette rouge – cette moquette est la sienne mais elle paraît s’en foutre.
Howard l’écrase sous la semelle de sa chaussure d’uniforme.
— Va falloir que tu me répondes.
— Si j’avais eu un mari, je vous l’aurais dit.
— T’es une vraie dure, hein? Un fils, peut-être ?
Elle souffle sa fumée vers le faux plafond en fer-blanc
gaufré.
— Donc t’as aucune fringue qu’aucun de nous pourrait
mettre ?
Elle regarde Howard comme on regarderait une merde de chien écrasée sur le tapis.
— Le petit peut essayer les miennes.
— On est tombés sur une garce finaude, dit Howard. Si t’es toute seule ici, alors pourquoi y a trois voitures devant chez toi?
— J’ai pas dit que j’étais seule.
Howard se gratte un bouton entre les deux yeux.
— D’accord, dit-il. On reprend tout. Qui d’autre vit ici?
— J’ai des pensionnaires, dit-elle. Dont deux ont une voiture.
— Et ils sont où, là, putain?
Bad News revient dans le salon, suivi de près par Warrington. Bad News porte une besace, la donne à Howard avec un petit sourire.
Howard ouvre le sac en cuir. Puis le referme.
— Des pensionnaires?
Les yeux de Pearl ne vacillent pas. Pas même un tout petit peu.
— J’imagine que ça ne vous surprend pas, dit Howard aux matons. Le genre de pensionnaires que Pearl héberge.
(Il ouvre de nouveau le sac.) Elles viennent de partout pour te voir, hein? Tes pensionnaires, Pearl?
— J’ai perdu mon mari en quarante-neuf. (Elle dit cela comme si un animal vivant juste à l’intérieur de son visage lui dévorait toute volonté de se taire.) Au cours de l’évasion. Il a été tué par l’un d’entre vous.
— J’étais pas en prison en quarante-neuf, dit Howard.
J’avais dix ans, putain.
— Je marche dans la rue et je vois ces murs, dit-elle, je ne fais rien d’autre, et ça suffit pour me rappeler pourquoi je fais ce que je fais.
— Je parie que tu caches un paquet de billets quelque part qui te le rappelle aussi, dit Howard. Un gros paquet de billets.
— Les femmes qui viennent chez moi ne sont pas du genre à s’encombrer d’un gosse, dit Pearl. Les femmes qui viennent chez moi n’avaient rien demandé aux femmes qui les ont fait naître.
Si vous ne croyez pas qu’elles se foutent tout pareillement de leur descendance, alors vous n’aurez qu’à regarder autour de vous quand ils vous recolleront au trou à Old Lonesome.
— Tu es une femme aigrie, dit Howard. Aigrie à l’égard
du monde. C’est ça ton problème.
— Non, mon problème, c’est vous. Vous tous.
Et elle ne veut pas seulement dire eux tous, dans cette pièce. Elle veut dire eux tous dehors, partout.
— Aigrie et desséchée. Tu détestes le monde parce qu’il ne t’a jamais fait mouiller. (Howard ouvre le sac et en sort un objet long, métallique et moche.) Si tu nous disais plutôt où tu caches ton magot, hein? Tu vas nous le dire, ou on te défonce avec ça, histoire de voir si t’as encore des bouts qui vivent à l’intérieur.
Elle irradie de mépris par chacun de ses pores, mais on voit à sa tête qu’Howard se trompe. Elle n’est pas aigrie. Elle a juste le cœur brisé par sa vie et par tous ceux qui sont venus à elle en trimballant leur propre cœur brisé, en quête de quelque chose pour l’extirper de leur corps. Mopar se demande si ça a jamais fonctionné.
— Sous mon lit, y a une latte de parquet qu’a plus de clous, dit-elle. C’est là.
Howard fait un signe de tête à Bad News et Warrington.
— Allez me chercher ça, dit-il.
Mopar frotte son pantalon crasseux. Il a l’air d’avoir été impliqué dans un tragique glissement de terrain. La neige
avait à peine commencé à tomber quand ils sont sortis de la pris
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