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Citation de JacquesBonhomme


On a écrit en français, première des langues romanes à pratiquer l’écriture, dès le IXe siècle : quelques lignes, perdues dans l’immense latinité, mais des plus précieuses. Cet ouvrage entend expliquer l’émergence précoce, inattendue voire paradoxale d’un usage écrit, politique et littéraire de cet idiome qui en était encore à ses balbutiements : le protofrançais acquiert promptement ses lettres de noblesse. Cet exploit n’a pas peu contribué à l’image d’une langue française idiome d’ancienne culture écrite, instrument familier du pouvoir ; il éclaire son destin et sa vocation à rayonner. Nous proposons ici des raisons radicalement nouvelles de ce coup d’éclat inaugural. La question est austère et devrait requérir l’impassibilité de la science ; on nous pardonnera toutefois un ton parfois familier, et en préambule quelques remarques personnelles.

Ce livre résulte d’une rencontre ; il tient à la découverte, puis à la fréquentation régulière, mêlée d’estime et d’affection, d’un homme mort il y a plus d’un millénaire. Dans une étude publiée il y a vingt-cinq ans, consacrée à l’apparition de la langue française, je reprenais la question, ancienne et jamais vraiment résolue, de la date à laquelle le latin, même très tardif, s’était transformé en protofrançais. À l’interrogation « Depuis quand parle-t-on français ? » je répondais de façon tranchée : « Depuis qu’on l’écrit. » C’est-à-dire depuis qu’on a perçu, estimé et valorisé sa divergence d’avec le latin, en lui attribuant
une fonction sociale, en le faisant accéder au prestige et à la permanence de l’écrit. Dans cette perspective, les Serments de Strasbourg, traité d’alliance bilingue (français/germanique) échangé en 842 par Charles le Chauve et Louis le Germanique, n’étaient plus seulement le premier texte rédigé en français, digne d’être salué comme tel, attestation initiale et presque aléatoire d’une langue en devenir ; ils se révélaient l’instrument d’une opération politico-linguistique impliquant la promotion des langues vernaculaires. Charles et Louis, faisant alliance contre leur frère, Lothaire, pourtant empereur proclamé, se reconnaissaient mutuellement une autorité sur les parties francophone et germanophone de l’Empire ;
délaissant le latin de l’unité impériale, les serments faisaient des langues vulgaires l’expression de l’alliance, la délimitation des territoires attribués (et officiellement partagés, quelques mois plus tard, par le traité de Verdun), presque leur identité.
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