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Citations de Bernard Cerquiglini (25)


Depuis quand parle-t-on français ?

Comme le disait avec humour Vendryes, le français est le latin parlé, actuellement, dans la région qui est aujourd’hui la France. Et l’on pourrait dire que l’on n’a jamais cessé de parler latin. Toutefois, l’accumulation de traits nouveaux apportés au latin a produit un idiome qui, aux yeux du savant comme du commun des mortels, est tout autre. On peut se demander, dès lors, en quel point de cette évolution les deux idiomes se disjoignent.
Cette question du continu et du discontinu est une des apories de la linguistique historique. Très influencée par le néolamarckisme ambiant, cette science de l’évolution des langues s’est naturellement coulée dans le transformisme : les langues évoluent comme les espèces, héritent des modifications acquises, se distinguent par spéciations successives. Conception organiciste de la langue, dont le destin, par suite, est celui de tous les êtres vivants. Métaphore des sciences naturelles, cependant, qui bute sur la complexité intrinsèque de la langue, et tout particulièrement sur la difficulté à définir les traits pertinents du processus évolutif. Dans la langue, point de branchies, de nageoires ou d’ailes, éléments au sein d’un système organique, mais des domaines (syntaxe, lexique, sémantique, etc.) hétérogènes, complexes en eux-mêmes, et ayant leur propre historicité.
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Depuis quand le français existe-t-il ? Depuis le jour où son altérité et sa spécificité, dues à son développement interne, sont reconnues et désignées. Du jour que celles-ci sont utilisées consciemment, dans un but de communication, dans une relation de pouvoir, et que cet emploi prend la forme du savoir, c’est-à-dire l’écriture. Depuis quand parle-t-on français ? Depuis qu’on l’écrit.
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[A propos de La formule de Soissons]

Un poème latin, conservé dans le Psautier de Soissons, exécuté à la fin du VIIe siècle, ajoute au nom de Charlemagne et de son épouse tu lo juva (« Dieu protège-le »), forme traditionnelle sans doute d’ovation populaire et sans doute la plus ancienne phrase conservée en français.
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Il en est ainsi : l’attachement à la langue française est si fort et communément partagé que toute innovation langagière incommode.
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[La grammaire historique] est pensée de l’origine, d’une origine parfaite et regrettable ; pensée essentiellement mélancolique, elle ne peut faire deuil du moment primordial. La thèse de la copie comme dégénérescence, qui fonde la philologie, présuppose un original sans faute : l’auteur n’a pas droit au lapsus.
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[A propos des Les Gloses de Reichenau]

Préparé à la fin du VIIIe siècle ou au tout début du IXe dans le nord de la France, […] il contient environ 1280 gloses interprétant des termes de la Vulgate, traduction latine officielle de la Bible, que saint Jérôme donna autour de l’an 400. On voit, au passage, l’évolution de la langue latine, devenue langue romane puis protofrançais, puisque, quatre siècles passés, one ne comprenait plus parfaitement la langue de saint Jérôme […].
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La question des origines

Rédigeant les premières lignes d’une monumentale Histoire de la langue française, Ferdinand Brunot ne veut « retenir pour le moment que ce seul fait primordial : le français est du latin parlé » (t. I, p. 16). Fait primordial et fondateur, certes, énoncé simple et bref tel un axiome, déclaration enfin d’une évidence qui frise la banalité. Que la langue française provienne du latin, nul n’en doute aujourd’hui, et moins que tout autre les défenseurs de l’enseignement du latin, et les candidats aux concours d’orthographe. C’est oublier qu’un tel savoir, devenu connaissance assurée mais tiède, cadre mental diffus, est des plus récents, que son apparence naturelle possède une histoire. Si la linguistique historique du français est une discipline scientifique, et si tel est son axiome, il convient d’examiner la constitution, lente il est vrai, mais exemplaire de cette science.
Les acquis, tenus pour définitifs, sont clairement énoncés par Brunot (t. I, p. 15) :
« Le français n’est autre chose que le latin parlé dans Paris et la contrée qui l’avoisine, dont les générations qui se sont succédé depuis tant de siècles ont transformé peu à peu la prononciation, le vocabulaire, la grammaire, quelquefois profondément et même totalement, mais toujours par une progression graduelle et régulière, suivant des instincts propres, ou sous des influences extérieures, dont la science étudie l’effet et détermine les lois. »
L’origine (« le français n’est autre chose que le latin… ») fonde, on le voit, le discours scientifique tenu sur l’évolution de la langue…
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Dans une salle reposait sur une longue table un squelette incomplet : c’était Nithard. Je saluai sa dépouille, m’attardant à contempler, empreint d’émotion, saisi de pitié, le crâne ouvert de celui qui avait célébré le français. Singulière rencontre, pour un chercheur familier d’écrits sans visage et sans nom, dont les siècles ont affaibli la vigueur et l’écho, avec le reste palpable de ce qui fut une ardeur, la trace pathétique d’un élan brisé. Un destin se donnait à voir, et la vérité d’une œuvre. Ces ossements, dérobés par miracle à l’opacité des siècles, confirmaient ce que suggérait la chronique : un chagrin du monde et des hommes, qu’avaient rémunéré l’intelligence solitaire du siècle et la grandeur de l’écriture. Au laboratoire de Ribemont-sur-Ancre reposait le premier écrivain français.

Nithard avait surgi de sa tombe et d’un millénaire d’oubli, ouvrant le cortège des officiants du français, pour recueillir notre légitime gratitude, afin que j’écrivisse son Tombeau.
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La langue est en France une affaire Dreyfus permanente.

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Ce qui nous conduit à la deuxième fonction interne de l'apoc [l'apocope] : banaliser. Qui tronque "ne se prend pas la tête". Par nécessité parfois : pensons aux troncats du personnel hospitalier, confronté à la souffrance et à la mort ; ils joignent à l'efficacité pratique la distance protectrice du lexique particulier. Mais le plus souvent, la troncation affiche la familiarité sans façon des "pros", des habitués, des familiers, de l'entre-soi. De ceux qui ne paient pas de mots en les abrégeant : la troncation arbore la connivence.
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Un monument politique

Amateur de langues, de grammaire et de beaux textes, Charlemagne devait avoir un penchant pour les signes et les symboles. Au soir de Noël de l’an 800, une date bien ronde, il est à Rome, et exprime le souhait d’assister à la messe de minuit, célébrée par le pape. À la fin de l’office, ce dernier est prié de poser sur la tête de Charles une couronne, que l’on produit à cet effet : Charles est empereur, oint de la main du pape. Une main, il est vrai, qu’il a quelque peu forcée : Alcuin devra rédiger une belle lettre d’excuses, et Sa Sainteté voudra bien pardonner ce bonapartisme avant la lettre. L’opération avait été menée promptement, et l’affichage politique était des plus clairs : Noël signifiant l’adhésion à la modernité culturelle que représentait le christianisme, le pape comme allégeance, doublée de protection paternelle (qui se fera de plus en plus pressante), envers l’Église en tant qu’institution ; Rome enfin symbolisait la continuité rêvée avec le monde antique. Et il fallait bien de l’audace à ce Franc, pour tenter de faire briller à nouveau en Occident le flambeau qu’avaient tenu Auguste, Trajan, Marc Aurèle et Constantin…
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On a écrit en français, première des langues romanes à pratiquer l’écriture, dès le IXe siècle : quelques lignes, perdues dans l’immense latinité, mais des plus précieuses. Cet ouvrage entend expliquer l’émergence précoce, inattendue voire paradoxale d’un usage écrit, politique et littéraire de cet idiome qui en était encore à ses balbutiements : le protofrançais acquiert promptement ses lettres de noblesse. Cet exploit n’a pas peu contribué à l’image d’une langue française idiome d’ancienne culture écrite, instrument familier du pouvoir ; il éclaire son destin et sa vocation à rayonner. Nous proposons ici des raisons radicalement nouvelles de ce coup d’éclat inaugural. La question est austère et devrait requérir l’impassibilité de la science ; on nous pardonnera toutefois un ton parfois familier, et en préambule quelques remarques personnelles.

Ce livre résulte d’une rencontre ; il tient à la découverte, puis à la fréquentation régulière, mêlée d’estime et d’affection, d’un homme mort il y a plus d’un millénaire. Dans une étude publiée il y a vingt-cinq ans, consacrée à l’apparition de la langue française, je reprenais la question, ancienne et jamais vraiment résolue, de la date à laquelle le latin, même très tardif, s’était transformé en protofrançais. À l’interrogation « Depuis quand parle-t-on français ? » je répondais de façon tranchée : « Depuis qu’on l’écrit. » C’est-à-dire depuis qu’on a perçu, estimé et valorisé sa divergence d’avec le latin, en lui attribuant
une fonction sociale, en le faisant accéder au prestige et à la permanence de l’écrit. Dans cette perspective, les Serments de Strasbourg, traité d’alliance bilingue (français/germanique) échangé en 842 par Charles le Chauve et Louis le Germanique, n’étaient plus seulement le premier texte rédigé en français, digne d’être salué comme tel, attestation initiale et presque aléatoire d’une langue en devenir ; ils se révélaient l’instrument d’une opération politico-linguistique impliquant la promotion des langues vernaculaires. Charles et Louis, faisant alliance contre leur frère, Lothaire, pourtant empereur proclamé, se reconnaissaient mutuellement une autorité sur les parties francophone et germanophone de l’Empire ;
délaissant le latin de l’unité impériale, les serments faisaient des langues vulgaires l’expression de l’alliance, la délimitation des territoires attribués (et officiellement partagés, quelques mois plus tard, par le traité de Verdun), presque leur identité.
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Exemplaires, donc, les Serments de Strasbourg. Ces quelques lignes tracées sur un parchemin marquent la naissance du français ; elles annoncent celle de deux Etats rivaux et plus tard de l’Europe des langues ; elles donnent à lire le lien fort de la langue et du politique ; elles montrent le rôle de l’écrit, et de ses professionnels, dans la constitution d’une langue nationale. S’ils n’existaient pas, il conviendrait promptement de les inventer. C’est d’ailleurs peut-être ce que Nithard a fait.
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À l’entrée de l’admirable exposition "En français dans le texte. Dix siècles de lumière par le livre", qui permit à la Bibliothèque nationale de France de faire briller de tous leurs feux parchemins enluminés, éditions rares et brouillons célèbres, on pouvait apercevoir, déposé sobrement dans la première vitrine, un manuscrit dépourvu de tout intérêt. De facture ordinaire, sans ornement, comme on en copia tant entre les IXe et Xe siècles, ce volume contient en effet une chronique carolingienne, qui relate les démêlés sanglants des fils de Louis le Pieux. La question ne semble guère d’actualité ; la chronique, de plus, est en latin. Les commissaires de l’exposition ne s’étaient cependant pas trompés, et n’égaraient pas leur public. Car si l’on se penchait sur le folio exposé, on pouvait distinguer, guidé par l’annotation marginale qu’une main charitable (mais fâcheuse pour le parchemin) déposa dans le courant du XVIe siècle, quelques lignes qui n’étaient point du latin. Au visiteur patient, et francophone, leur déchiffrement procurait une émotion singulière. Car s’épelaient ainsi, s’opposant au bloc massif de l’écrit latin, quelques mots, quelques phrases de ce qui allait devenir le français.
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La postérité, il est vrai, n’avait pas fait preuve d’un intérêt très perspicace à son [Nithard] égard. C’est quand on découvre les Serments de Strasbourg, à la Renaissance, qu’une certaine lumière est projetée sur le Carolingien : ce traité, en effet, n’est connu que par son Histoire des fils de Louis le Pieux. Dans Les Six Livres de la République, qu’il publie en 1576, chez Jacques du
Puys, Jean Bodin attire le premier l’attention sur le serment personnel de fidélité que se jurèrent Louis et Charles :

"Loüys iura le premier en langue Romande les parolles qui s’ensuiuent, que M. le President Fauchet, homme bien entendu & mesmement en nos antiquitez, m’a monstree en Guytard, historien Prince du sang." (Livre I, chapitre VIII, p. 117)

Bodin commet une double erreur, qui aura la vie dure. Sur le patronyme, tout d’abord, de l’auteur de cette Histoire : .......
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Car la répulsion pour la néologie, le dépit dû à ce qui paraît une désinvolture francophone, la condescendance envers les femmes, la connivence acrimonieuse des mâles ne pourraient seuls justifier un tel entêtement. Nous sommes en France, où la langue tient du pouvoir, lequel ne se partage pas. Le Premier Ministre (avec l'accord du chef de l'Etat) était certes fondé à adopter, pour son administration, une néologie linguistique favorable à l'identité féminine ; l'Académie avait le droit de réprouver toute néologie. Nous sommes en France, où l'Etat prodigue charges et fonctions, protège une langue qui tout à la fois l'énonce et l'illustre. [...] On ne pouvait guère lier davantage l'action publique et l'innovation lexicale ; on ne pouvait affirmer autrement un dessin politique de stimuler la langue.
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Nous nous sommes attardé sur écrivaine, autrice, etc., jugeant ces termes révélateurs. Ils concentrent, tout d'abord, le mépris masculin. Les choses de l'esprit étant par excellence du domaine du mâle, toute femme se mêlant des lettres ne fait que singer : femmes savantes, bas-bleus, précieuses, ect., sont des caricatures. Une femme qui ose échapper à sa condition adopte une conduite simiesque. Le thème court la littérature ; il se veut parfois bienveillant, la femme étant glorifiée de rester parfaitement féminine.
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La naissance du français, c’est-à-dire le passage à l’écrit, solennel et monumental, de la langue maternelle romane est d’abord une affaire de famille. Et comme on peut s’y attendre, le cercle de famille se déchire à grands cris : conflits violents, rupture des alliances, explications confuses. Rien que de très habituel, sans doute, si les débats n’avaient en l’occurrence un enjeu de taille : le destin du vaste empire constitué par Charlemagne.
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Comme le disait avec humour Vendryes, le français est le latin parlé, actuellement, dans la région qui est aujourd’hui la France. Et l’on pourrait dire que l’on n’a jamais cessé de parler latin. Toutefois, l’accumulation de traits nouveaux apportés au latin a produit un idiome qui, aux yeux du savant comme du commun des mortels, est tout autre. On peut se demander, dès lors, en quel point de cette évolution les deux idiomes se disjoignent.
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Polyglotte, le territoire de Lothaire est neutre, « non marqué » dirait un linguiste, dans l’opposition qui, de façon univoque, distingue les domaines de Louis et de Charles. Réduit, au plan politique, à quelques symboles, au plan de la langue, il n’existe pas. Car c’est bien l’appartenance homogène aux parlers roman et germanique qui discrimine les territoires des vainqueurs, et qui réalise leur projet, le partage de l’empire, instituant durablement hégémonies territoriales et zones d’influence. Dès 843, l’Europe est d’abord un fait linguistique.
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