Lecture du poême "Le bestiaire de Paris" de Bernard DImey
J'aimerais tant voir Syracuse
L'île de Pâques et Kairouan
Et les grands oiseaux qui s'amusent
A glisser l'aile sous le vent
Voir les jardins de Babylone
Et le palais du Grand Lama
Rêver des amants de Vérone
Au sommet de Fuji Yama
Voir le pays du matin calme
Aller pêcher le cormoran
Et m'enivrer de vin de palme
En écoutant chanter le vent

Pépère
Pépère, écout’pas ça, c’est du mélancolique.
À chaque fois qu’tu l’entends, tu fais ton cinéma,
Ça te rappelle des trucs, cette espèce de musique,
Ça te rappelle Germaine mais ça tu l’diras pas.
Écoute pas ça, j’te dis ; t’as déjà l’œil qui brille,
Tu tires sur ta cibiche comme au bal des pompiers,
Y paraît qu’tu savais baratiner les filles,
Y paraît qu’au chamboule-tout t’étais toujours premier.
Je vois l’accordéon tourner sous ta casquette
C’est comm’ la foire du trône, réveillé d’un seul coup
Quand on a dix-huit ans, c’est merveilleux la fête,
À présent c’est foutu, tu n’y vas plus beaucoup.
Pépère, écout’ pas ça, et parle-moi d’Germaine.
Y paraît qu’avec elle t’avais l’sifflet coupé,
Que tu v’nais la chercher chez papa toutes les s’maines,
En promettant surtout d’la ram’ner pour souper.
Pépère, écout’pas ça, tu vas pleurer par terre
Si tu rentres chez toi avec des yeux rougis
Mémène elle va penser que t’as forcé sur l’verre
Elle comprendra jamais que l’biniou t’a surpris.
C’est pernicieux comme tout les pianos à bretelles,
Ça vous balance des airs au décrochez-moi ça,
Des sonates à deux ronds dans le fond des ruelles
Avec des mots tout neufs qui n’en finissent pas.
Pépère, on va rentrer, vas-y, finis ta bière,
Il est minuit passé, c’est plus des heures pour toi.
Le patron du bistrot va boucler ses lumières
Et pour le dénicheur, ça s’ra la prochaine fois.
Au jardin bleu des espérances
J'ai vu danser les paons de nuit
Sur les arpèges du silence
Où vient se perdre mon ennui.
Mais au premier souffle de brise
Le son de ta voix me revient
Et le songe soudain se brise,
De notre amour ne reste rien.
Le chimpanzé se gratte, il a déjà douze ans
Il en a plein le cul de voir passer des hommes
Qui lui font des sourires, des grimaces en passant
Pas plus singe que lui, mais vraiment c'est tout comme

Moi qu'écris des chansons
Bernard Dimey
Moi qu´écris des chansons depuis bientôt vingt berges
Comme d´autres s´amusent à faire des mots croisés
Cultivant le jardin où fleurit ma gamberge
Je tire mon chapeau à ceux qui sont passés
A ceux qui trimballaient au fond de leur musette
Des mots qui méritaient cent fois le Panthéon
Qu´on chantait dans les rues, histoire de faire la quête
Sur les places de Paris, à coups d´accordéons
Entre Nini peau d´ chien, La fleur de la Bastille
Et Prosper yop la boum et Parlez-moi d´amour
La vieille Java Bleue qui f´sait tourner les filles
Et les pièces de dix sous qui tombaient dans les cours
J´ai grandi tout heureux, la romance à l´oreille
Entre Paris canaille et le Petit vin blanc
Entre les Feuilles mortes et Démons et merveilles
Entre la voix de Piaf et la voix de Montand
Les chansons... Les chansons venues du fond des âges
De l´époque où le roi faisait battre tambour
Jusqu´au Temps des cerises, le plus bel héritage
Le plus joli fleuron de la chanson d´amour
J´aurais tellement aimé écrire La vie en rose
Croiser Monsieur William entre Ostende et Paris
Sur le port d´Amsterdam cultiver ma cirrhose
C´est du Petit bonheur mais ça n´a pas de prix
Les chansons... Les refrains qu´on fredonne en sourdine
Entre l´île Saint-Louis et le pont Mirabeau
Quand Mon pote le Gitan s´endort dans sa verdine
C´est comme un beau poison qu´on aurait dans la peau
Moi qu´écris des chansons pour occuper mes heures
Je voudrais en faire une qu´on n´oublierait jamais
Afin que, parmi vous, un peu de moi demeure
Comme une fleur vivace aux Marches du palais
Voici bientôt vingt ans, peut être davantage,
Que je fais le guignol à n'importe quel prix
Entre le delirium, la sagesse et la rage.
Revenez donc me voir quand vous aurez compris
Et ne condamnez rien avant d'avoir mon âge.
Les fleurs qu'on n'admire jamais se fanent plus vite que les autres.
Et déjà mon cœur s'effrite au toucher comme un bulbe de plâtre
Et les tulipes ... Mes tulipes...
Hélas, les tulipes sont des fleurs si fragiles.

Les enfants de Louxor
Quand je sens certains soirs ma vie qui s'effiloche
Et qu'un vol de vautours s'agite autour de moi,
Pour garder mon sang-froid, je tâte dans ma poche
Un caillou ramassé dans la Vallée des Rois.
Si je mourais demain, j'aurais dans la mémoire
L'impeccable dessin d'un sarcophage d'or
Et pour m'accompagner au long des rives noires
Le sourire éclatant des enfants de Louxor.
A l'intérieur de soi, je sais qu'il faut descendre
À pas lents, dans le noir et sans lâcher le fil,
Calme et silencieux, sans chercher à comprendre ,
Au rythme des bateaux qui glissent sur le Nil,
C'est vrai, la vie n'est rien, le songe est trop rapide,
On s'aime, on se déchire, on se montre les dents,
J'aurais aimé pourtant bâtir ma Pyramide
Et que tous mes amis puissent dormir dedans.(...)
Les enfants de Louxor ont quatre millénaires,
Ils dansent sur les murs et toujours de profil,
Mais savent sans effort se dégager des pierres,
À l'heure où le soleil se couche sur le Nil.
Je pense m'en aller sans que nul ne remarque
Ni le mal ni le bien que l'on dira de moi
Mais je déposerai tout au fond de ma barque
Le caillou ramassé dans la Vallée des Rois.
("La mer à boire")
Moi qui n'écris jamais sur les murs de Paris,
n'étant pas coutumier des œuvres qu'on ravale,
je tiens tant bien que mal tout ce que j'ai promis.
C'est toujours pas à pas que se font les scandales
qui renversent les murs au lieu de les salir.
Baroudeurs du micro, maquisards de théâtre,
la recette est fameuse, allez vous enrichir
mais ne m'attendez pas pour essuyer les plâtres.

Le cerveau des baleines
Lorsque je traversais la mer des Caraïbes
Sur un trois-mâts pourri qui ne craignait plus rien,
J'ai vu sortir de l'eau des images terribles,
Anges tout ruisselants aux mâchoires de chien.
Je hurlais à la mort en passant les tropiques.
Face à la Croix du Sud se reflétant sur l'eau
Le coq allait pêcher des poissons électriques
Et les autres braillaient des refrains archi-faux.
Nous allions visiter le cerveau des baleines
Et nous en revenions avec des yeux tout ronds.
La tête endimanchée de rengaines foraines
Nous revenions à bord à grands coups d'avirons.
Le tafia qu'on buvait ne valait pas tripette,
Mais pour se consoler on en buvait beaucoup
Pour se remplir de feu la carcasse et la tête,
Et les enfers s'ouvraient après le dernier coup.
L'enfer était pour nous ce jardin des Sargasses
Où le jour et la nuit trissaient à l'infini,
Piégeant avec douceur la quille des barcasses.
N'allez pas y chercher les mirages promis,
Le mirage naissait du cerveau des baleines
Qui s'en vont les chercher au fond des océans…
Ainsi j'ai découvert la vie calme et sereine
En allant visiter le cerveau des géants.