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Citation de tonpdg


Où est-ce que je suis ?
Il est étendu sur la table d’opération – et pourtant il marche dans un paysage plein de lumière, un paysage remarquable. Comment est-ce possible ? Un paysage d’une beauté à couper le souffle (« à couper le souffle » : quel humour, mon vieux ! songe-t-il en pensant au masque à oxygène). Il voit des montagnes bleues au loin, un ciel d’une pureté absolue, des collines ET DE LA LUMIÈRE. Beaucoup de lumière. Une lumière brillante, chatoyante, magnifique, tangible. Il sait bien où il est – dans une région contiguë de la mort, peut-être même de l’autre côté – mais il n’éprouve aucune peur.
Tout est beau, lumineux, fantastique. Accueillant.
Il se tient sur une hauteur dominant les collines, les rivières miroitantes qui épousent en serpentant les caprices du terrain. Il voit en bas, à cinq cents mètres environ, un fleuve qui avance lentement dans sa direction, au cœur du paysage, depuis l’horizon. Il suit le chemin qui descend vers lui, et plus il descend, plus le fleuve lui paraît d’un aspect inhabituel. C’est une merveille inimaginable que ce fleuve ! C’est plus beau que tout ce qu’il a connu. Et soudain, à mesure qu’il s’en approche, sa compréhension s’élargit : le fleuve est constitué d’êtres humains marchant côte à côte – ce qu’il voit, c’est le fleuve de l’humanité, passée, présente et future…
Des centaines de milliers, des millions, des milliards d’êtres humains…
Il parcourt les cent derniers mètres et, quand il entre dans cette foule immense, il se sent submergé, entouré par un amour palpable. Plongé au milieu de cet énorme fleuve de gens, il se met à sangloter de joie. Il se rend compte que jamais, pas une minute au cours de toute sa vie, il n’a été aussi heureux. Il ne s’est senti aussi en paix avec lui-même, et avec les autres. Jamais la vie n’a eu parfum si suave, jamais les gens n’ont exprimé tant d’amour à son endroit. Un amour qui l’inonde jusqu’au tréfonds de l’âme.
(La vie ? dit une voix dissonante en lui. Tu ne vois donc pas que cette lumière, cet amour, c’est la mort ?)
Il se demande d’où venait cette dissonance, cet accord discordant tout à coup – aussi puissant que celui qui résonne à la fin de l’adagio de la 10e Symphonie de Mahler.
Il voit quelqu’un à son chevet, entre ses cils, à la limite de son champ de vision. L’espace d’un instant, il ne sait pas comment elle s’appelle, cette belle jeune femme au visage affligé. Elle doit avoir dans les vingt-deux ou vingt-trois ans. Puis le brouillard se dissipe et la lucidité lui revient. Margot. Sa fille. Quand est-ce qu’elle est arrivée ? Elle est censée être au Québec.
Margot pleure. Assise près de son lit, elle a les joues mouillées de larmes. Il peut sentir les pensées de sa fille, sentir à quel point elle est malheureuse – et il a honte, tout à coup.
Il se rend compte qu’il n’est plus au bloc mais dans une chambre d’hôpital.
Réa, songe-t-il. Service de réanimation.
Puis la porte s’ouvre, et un homme en blouse blanche entre, accompagné d’une infirmière. L’espace d’un instant, il est pris de panique lorsque l’homme en blouse blanche au visage grave se tourne vers Margot. Il va lui annoncer que son père est mort.
Non, non, je ne suis pas mort ! Ne l’écoute pas !
— Coma, dit l’homme.
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