Paroles d'auteurs - Un il dans la nuit, Bernard Minier
Nous changeons. Tous. Irrémédiablement. Une part de nous-mêmes reste identique: le noyau, le coeur pur venu de l'enfance, mais tout autour s'accumulent tant de sédiments. Jusqu'à défigurer l'enfant que nous étions, jusqu'à faire de l'adulte un être si différent et si monstrueux que, si l'on pouvait se dédoubler, l'enfant ne reconnaîtrait pas l'adulte qu'il est devenu - et serait sans doute terrifié à l'idée de devenir cette personne-là.
p510
Sous sa statue, une inscription avait été ajoutée à la Révolution :
"Vivant, le peuple entier l'aima. Il le pleura quand il fut enlevé."
Servaz ne put s'empêcher de sourire. Comme toujours, ceux qui réécrivaient l'Histoire a posteriori le faisaient à la truelle : de son vivant, Henri IV avait été l'un des rois les plus haïs, son effigie brûlée, son nom associé à l'Antéchrist. Et, s'il fut finalement occis par Ravaillac, il y eut une bonne dizaine de tentatives d'assassinat avant celle-là. Mais comme d'habitude, les mensonges avaient la vie dure.
p380
Vous saviez que, pour certains chercheurs, la foi et le comportement religieux sont des traits spécifiquement humains qu'on retrouve dans toutes les cultures et qui sont sans équivalent dans le règne animal ? D'après eux, il existe des circuits du cerveau spécifiques à la croyance religieuse. [...]
Pour certains, la foi est d'origine biologique; pour les tenants de Darwin, la sélection naturelle a pu favoriser les individus qui sont croyants parce que leurs chances de survie étaient plus grandes. Le cerveau humain aurait ainsi évolué en devenant plus sensible à toutes les formes de croyance, ce qui expliquerait que les croyances religieuses et la foi sont aussi répandues dans le monde.
p275-276
En franchissant les portes de l'hôtel de police, elle eut l'impression de se heurter à un mur. Un mur de colère et de frustration. Un mur de tristesse. Un mur de résignation. Elle pensa à un film qu'elle avait vu il y a longtemps : Les Ailes du désir, dans lequel des anges invisibles recueillaient les monologues intérieurs des humains, y cherchant des traces de beauté et de sens. Quel sens et quelle beauté auraient-ils trouvés ici ? Quelle autre image que celle de l'absence d'espoir ?
p111
"Au milieu du chemin de notre vie
Je me retrouvais dans une forêt obscure
Car la voie droite était perdue."
[...] Dante
p25
La liberté comme la santé ne sont vraiment appréciées que lorsqu'on en a été longtemps privé.
p193
Comme vous le savez, le premier Américain à effectuer un vol orbital autour de la Terre fut John Glenn en 1962, dix mois après Gagarine, ce même John Glenn qui déclara, a l'époque :
"Le rôle des hommes est d'aller à la guerre et dans l'espace, les femmes ne sont pas partie prenante de ces activités." Mais bon, autres temps, autres mœurs...
p410

- Vous croyez que mes crimes rendent vos mauvaises actions moins condamnables ? Vos petitesses et vos vices moins hideux ? Vous croyez qu'il y a les meurtriers, les violeurs, les criminels d'un côté et vous de l'autre ? C'est cela qu'il vous faut comprendre : il n'y a pas une membrane étanche qui empêcherait le mal de circuler. Il n'y a pas deux sortes d'humanité. Quand vous mentez à votre femme et à vos enfants, quand vous abandonnez votre vieille mère dans une maison de retraite pour être plus libre de vos mouvements, quand vous vous enrichissez sur le dos des autres, quand vous rechignez à verser une partie de votre salaire à ceux qui n'ont rien, quand vous faites souffrir par égoïsme ou par indifférence, vous vous rapprochez de ce que je suis. Au fond, vous êtes beaucoup plus proches de moi et des autres pensionnaires que vous ne le croyez. C'est une question de degré, pas une question de nature. Notre nature est commune : c'est celle de l'humanité toute entière.
L'Opéra ou la défaite des femmes. [...]
Elle avait lu ce livre plusieurs années auparavant, mais elle se souvenait très bien de son contenu : ce livre parlait du long cortège des femmes déchues, blessées, délaissées, trahies, bafouées, assassinées, acculées à la folie ou à la mort dont les malheurs faisaient depuis toujours les délices des amateurs d'opéra. A l'opéra, toutes les femmes mouraient. Sans exception. A l'opéra, les femmes étaient toujours malheureuses. A l'opéra, les femmes avaient toujours une fin tragique. Princesses, roturières, mères, putains : l'opéra était le lieu de leur défaite inéluctable - elle se sentit de plus en plus mal à l'aise.
p618
- Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi la nuit est noire, dehors, [...] ?
Si l'univers était infini comme on le dit, et donc le nombre d'étoiles infini également, la nuit devrait être remplie de lumière, non ?
Puisque le regard devrait toujours rencontrer une étoile, où qu'il se tourne ... Vous voyez [...], il ne devrait pas y avoir le moindre atome de nuit - mais un tissu continu d'étoiles, et donc de lumière.... C'est le paradoxe d'Olbers.
p300