Bernard Vidal

C'est chose naturelle pour un artiste de s'abstraire en vieillissant. Mais de qui fait il l'abstraction, se sépare-t-il? de ce qui entrave sa vision... Sa touche se simplifie, elle ignore le repentir, elle s'abandonne à la couleur....

On peut être l'écrivain d'un seul livre. On ne peut pas être le peintre d'un seul tableau, d'un unique chef d'œuvre qu'on passerait sa vie à parfaire et à ciseler, fut il le retable d'Issenheim, on n'en finit jamais avec la peinture. les beaux tableaux se font dans le terreau des moins beaux, des ordinaires et même des ratés.

Il est un endroit dans ma galerie, un rabicoin secret, un réduit où, derrière un rideau d'ombres douces, dans une pénombre quiète, se dissimulent les tableaux achetés par certains maris qui attendent le moment propice pour confesser leur faiblesse à leurs épouses.

Les femmes préfèrent parler aux femmes. dans une galerie, elles ne s'adresseront à l'homme que par défaut ou s'il leur plait ou si elles ont confiance. quand elles sont seules les femmes achètent rarement. les femmes seules qui achètent sont les femmes artistes, les femmes qui n'ont pas d'homme à la maison, et généralement les femmes indépendantes.

L'épouse d'un artiste est la récipiendaire de ses infortunes, la muse qui s'afflige, le sein maternel. Mais du succès, quand il arrive, elle ne reçoit qu'un reconnaissance vague et par procuration. Elle est la sœur converse de la création.

Fichu métier, si maintenant on ne devait vendre les tableaux qu'aux gens qui les aiment et les méritent!

L'atelier est une chose intime, une chose pour les amis, près du cœur.

Le monde est un théâtre. De la galerie on voit les collectionneurs comme de son balcon.

Une collection est un autoportrait. une collection exprime le gout la curiosité de son propriétaire, son érudition, son aveuglement.

Ils collent leur nez près du papier ou de la toile à la recherche de mystères qui se dérobent t dans une pantomime qui les engagent tout entiers, ils se penchent , examinent le châssis de coté et ils le retourneraient, s'ils pouvaient, pour en percer les secrets.

Ils cherchent à saisir l'âme du tableau, à la pénétrer, à en deviner , sous la couche picturale des chairs, des douceurs, à voir ce qui ne laisse pas voir, l'appât, la saignée de peinture.

le propriétaire d'une galerie doit avoir des talents de psychothérapeute, la rouerie d'un arnaqueur à succès, la sensibilité d'un artiste, l'habileté en affaires d'un entrepreneur de start up, le charme d'un maitre d'hôtel et l'obstination d joueur professionnel.