- Les mains en l'air !
Mon sang ne fait qu'un tour dans mon enveloppe corporelle. Cette voix si froide, si grave, si... Tant de choses se bousculent dans ma tête à cet instant. Je crois que j'ai conscience de ce qui arrive, pourtant je me demande...
- J'ai dit les mains en l'air !
La voix n'était déjà pas calme lors de son premier retentissement. À présent l'effroi s'empare de moi. Ce qui m'entoure est réel, je reconnais les lieux, tandis que mes yeux viennent de se fermer. La peur, sans doute.
- Je vais tirer !
Tu es mon fils, quels que soient tes choix je les respecterai, mais tu ne m’empêcheras pas de te dire ce que j’en pense malgré tout. En l’occurrence, tu as fait une très grosse erreur de choisir cette femme ! Je suis prête à te parier tout ce que tu voudras que c’est à cause d’elle que tu es ici ! J’en suis persuadée, et je sais que j’ai raison ! Cette fille est une plaie, tu aurais dû t’en rendre compte beaucoup plus tôt ! Pour ma part, je ne l’ai jamais sentie, jamais ! J’espère que tu regrettes les 21 jours que tu as passés dans le coma, ce sont 21 jours de perdus, que tu ne pourras jamais rattraper ! Tu vois ce qu’il t’en aura coûté de ne pas écouter ta mère ? Est-ce que tu t’attendais à ce que je te félicite pour ça ?
Le ton sur lequel elle me parle monte tellement, et son visage devient si rouge, que je me demande si au bout d’un temps elle ne va pas me gifler sans le vouloir. Elle a une grande rancœur envers Catherine, ça ne fait aucun doute. Mais par-dessus, elle m’en veut aussi énormément, c’est une évidence qui me crève les yeux. Cependant, je me demande tout de même si elle n’y va pas un peu fort lorsqu’elle me dit que la femme avec qui je vivais est forcément la responsable de mon hospitalisation.
Au détour d'une courte conversation avec un des médecins, j'apprends que je suis resté pas moins de 21 jours dans le coma. J'aurais apparemment subi un traumatisme crânien, doublé d'un éventrement dû à un couteau de cuisine planté dans l'estomac. J'ai donc été agressé, mais j'ai beau demander qui en est le responsable, personne ne veut me répondre. Même Mylène, arrivée à mon chevet aux alentours de 9h, refuse de me dire ce qui s'est passé.
- Est-ce un secret ?
- Pas du tout, Julien, pas du tout. La police est au courant de ce qui t'est arrivé, ils font ce qu'ils peuvent pour traquer le responsable de tout ça, depuis que c'est arrivé.
-Raconte-moi ce que tu sais. S'il te plaît. J'ai besoin de comprendre.
- Tu m'as appelée un soir, il y a trois semaines. Tu m'as demandé de venir te rejoindre dans une petite rue près de chez toi. Tu n'avais pas l'air bien au téléphone. Quand je suis arrivée, tu baignais dans ton sang, tu avais un grand couteau de cuisine planté dans le ventre. Tu m'as fait terriblement peur, si tu savais !
- Personne ne sait qui m'a fait ça ?
J’ignore si on peut me tenir rigueur de cette perte de mémoire dont je souffre. Le neurologue n’est pas capable de me dire si c’est la faute de l’agression que j’ai subie, ou du coma dans lequel je suis resté plongé pendant trois semaines. Toujours est-il que l’amnésie est bien là, et qu’il est impossible de savoir de quelle façon je pourrai recouvrer mes souvenirs.
Quel rêve étrange… et qui me met sacrément dans l’embarras, car j’ai nettement l’impression d’avoir réellement vécu ces moments, ces discussions. Cette femme, se peut-il qu’il s’agisse de cette Catherine dont on m’a tant parlé ? Celle-là même avec qui j’avais voulu m’installer, au détriment de Mylène, que j’ai rendue si malheureuse par ma décision de choisir une autre femme ?
En ce mercredi matin, je me rends compte que le seul moyen de savoir si cette présence dans mes rêves, qui devient récurrente, est bien Catherine, ce serait de poser la question à Mylène directement. De la lui décrire, et de le lui demander. Mais pour cela, encore faudrait-il qu’elle me réponde, ce qu’elle ne fait toujours pas ce matin. Je m’étais promis d’attendre que ce soit elle qui me rappelle, j’en ai été incapable. Et encore une fois, je suis tombé sur sa maudite messagerie.
Quel genre de monstre peut penser à embrocher un être humain, qui plus est la personne avec qui il partage sa vie ? Quel genre de personne est réellement Catherine, cette femme dont je me suis entiché dans ma jeunesse, avec qui j’espérais rester toute mon existence, faire des enfants, vivre mes vieux jours ?
J’étais moi-même en couple avant mon agression. Depuis lors, je n’ai pas eu la moindre occasion d’être suffisamment proche d’une femme pour avoir une chance de me souvenir de ce que ça fait. Si j’en crois les bruits que j’entends actuellement, ce doit être agréable. Quand bien même, je m’en passerais volontiers.
Je n’ai pas d’autre choix que de manger ce qui se trouve devant mes yeux pour le moment. Donc je m’exécute, davantage par faim que par gourmandise. Je parviens difficilement à terminer le contenu des compartiments malgré ma faim. Au final, je trouve ce repas pire que celui d’hier soir.
En effet, je n’ai pas envie de la convier à tort et à travers, et qu’elle comprenne que je lui fais du rentre-dedans de manière trop brutale. Je préfère la jouer fine pour ne pas me confronter à un refus catégorique d’aller plus loin avec elle. Je ne veux surtout pas l’effrayer.
Cette infirmière me déplaît, je n’aime pas sa façon de me faire comprendre que je dois passer par elle si je veux quoi que ce soit. Je n’aurais peut-être pas dû lui demander pour avoir la télévision. Je n’ai pas envie d’être dépendant de qui que ce soit.
Elle m’aide à m’asseoir sur l’unique chaise de la pièce, puis me demande si je voudrais qu’elle m’apporte de la lecture en revenant vers ma chambre un peu plus tard. Je refuse d’une manière que j’estime polie. Puis elle s’excuse et quitte la pièce, sans un mot de plus. J’espère ne pas l’avoir vexée. Si c’était malgré tout le cas, en réalité je n’en suis pas vraiment désolé.