Boris Moissard

Toute existence est une eau qui s’échappe, et l’homme qui se souvient fait, lui aussi, un travail d’orpailleur.

Un demi-siècle...
en 2015, l'Ecole des loisirs célèbre son jubilé. Année de joie, couronnant cinquante ans de bonheur. L'ambiance est à la fête. C'est le moment de dépouiller toute fausse modestie, toute timidité, tout quant-à-soi, toute pudeur de chaisière.
Il y a de quoi s'enorgueillir.
L'Ecole des loisirs est une Atlantide non engloutie. C'est aussi un peu le TNP. On s'y est toujours efforcé de fournir aux enfants ce que Jean Vilar dispensait dans les années cinquante aux publics adultes du Palais de Chaillot et d'Avignon: une culture populaire mais non vulgaire. Le meilleur à la portée de tous. (p. 99)

Les filles en ce temps-là, présentaient quelques petites difficultés, que les garçons d'aujourd'hui ont la chance d'ignorer.
Il faut se souvenir qu'aux environs de 1960 la jeune bourgeoise française des beaux quartiers ne se connaissaient encore, dans l'existence, à peu près qu'un seul but et qu'une seule planche de salut, passé l’âge de vingt ans : se marier.
Et que cet impératif s'assortissait pour elle d'une règle de conduite d’observance stricte, à partir de la puberté : se maintenir intacte dans l'attente du mari. On ne disait d'ailleurs pas intacte mais vierge. Ce mot a disparu du vocabulaire, sauf pour qualifier l'huile d'olive.
( p 37)

« Il faut reconnaître que « l'école des loisirs » est une curieuse raison sociale. Qu'on la doive à Jean Fabre (qui l'a mûrement pesée) n'empêche pas de la trouver cocasse, voire saugrenue. Les deux termes qu'elle assemble présentent une contradiction qui frise l'oxymore, terme aux effets répulsifs. Mais s'y arrêter serait démontrer, d'une part qu'on sous-estime la valeur du loisir, d'autre part qu'on ignore les voies escarpées qui y mènent. Ce serait faire preuve d'inculture. (…) Les loisirs ça s'apprend. Ça se travaille. Pour atteindre au riche état de vacance que les Romains nommaient otium, et dont ils faisaient une condition de l'esprit, le sujet doit fournir des efforts. Les loisirs ne sont pas une sinécure. Ils impliquent une discipline, un programme de musculation, une gymnastique cérébrale dont les mouvements sont précisément ceux de la lecture. Une bibliothèque est le gymnase obligatoire de l'honnête homme, en vertu d'une primauté de l'écrit que les siècles ont consacrée depuis Platon. Pourquoi l'importance du livre ? Parce que l'intelligence ne s'affirme qu'à partir d'un jeu d'idées et que l'idée ne prend jamais mieux corps qu'imprimée noir sur blanc sur une page. »

« Qu'a voulu représenter André François, touché par la grâce divinatoire de son génie graphique ? Un écolier solidement accoudé, campé sur une base livresque, mais la tête dans ses rêves et l'imagination prête à l'envol. On ne pouvait mieux traduire un certain état d'esprit, poser les fondements d'une entente, résumer une philosophie ni définir une ligne éditoriale. »

Le combat dans lequel nous luttons est celui qu'a engagé, depuis la Chute de l'Homme, l'inexprimable Beauté contre les forces conjuguées du Bruit, de la Vulgarité et du Laid. Notre oreille doit rester sourde au vacarme du monde, mais s'ouvrir toujours à ses merveilles les plus infimes qui sont toujours les pus suaves. Ne l'oubliez jamais ! Notre croisade est celle du Bien contre le Mal. Gardons l'ouïe fine envers tout ce qui est céleste.

- J'en ai marre !
- De quoi ? demande son père.
- De la vie.
- Qu'est-ce que tu lui reproches, à la vie ?
- D'être injuste. C'est toujours les mêmes qui sont princesses de Monaco. Moi aussi, je veux être princesse de Monaco !