Mon pays me rappelait l’indifférence du fonctionnaire, la peur de l’autorité, la hantise de la faim, le supplice des nuits à la belle étoile. Il me rappelait l’injustice, l’humiliation, la souffrance, la mort prématurée de ma mère.
Paris était trop différent de ce que j’avais connu jusque là. Je manquais de contact humain, d’espaces verts et d’air pur. Quant à m’engouffrer dans les souterrains du Métro, c’était devenu pour moi le supplice ! Les difficultés matérielles aidant, la nouvelle vie agitée et le changement brutal du contexte me perturbèrent à tel point que je perdais désormais le sommeil et finis par attraper une tuberculose qui m’obligea à arrêter mes études.
Suivirent deux mois d’hôpital et une année de sanatorium dans la région de Grenoble qui me permirent de découvrir que Paris n’était tout de même pas la France.
J’étais paumé, naïf, j’appartenais à un monde qui vivait selon d’autres principes. Je devenais un étranger dans ma cité, je ne comprenais pas la valeur des choses. J’étais un rescapé déchiqueté, foulé aux pieds dans un monde d’hyènes. Sans argent, je dérangeais, j’aurais dû crever, disparaître.
Adieu maman, adieu papa, adieu les miens. Je ne vous oublierai jamais. Je resterai fidèle à votre bonté, votre générosité, votre rigueur.
Les portes se fermèrent, puis l’avion s’ébranla brusquement. Ce 2 octobre 1968 était une nouvelle page de ma vie. J’allais sous peu m’arracher au pays, à ma tribu, à la terre qui gardait mes parents. Cet exil était une autre déchirure qui – je l’espérais – allait soulager mes peines.