AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Piatka


J’AI KAYAKÉ

J’ai kayaké,
méandré, la Seine.
Fait reculer les mascarets.
dans un bar d’outre-tombe,
dernière luciole
d’un quartier survivant
d’entre-bombes,
Mado, de Saint-Agrève,
m’a promu matelot…
sur une goélette
en goguette.
À son bord,
J’ai usé mes paumes
entre étai de flèche et grand-voile,
chanté les grands cacatois
les petits perroquets
et tous les Artimons
du temps perdu
des brigantines
malouines.
À Bilbao, sur un cargo poisseux,
J’ai secoué les plis de nappe
D’un pavillon panaméen
À miettes d’équipage
aux langues dépareillées
et gestes accordés.
J’ai viré à Sagres
où naquirent ces coquilles de noix,
bateaux ivres
appelés caravelles.
Les oiseaux m’ont appris
que l’un d’entre eux, le labbe,
menait double vie
sous le nom de stercoraire
Un vieux yacht à la vapeur dorée
m’a dérivé vers Gibraltar où j’ai vu,
dans le regard des singes du Rocher,
les reflets atlantiques des grandes cataractes
qui emplirent jadis la Méditerranée
Une escale en Sardaigne
m’a fait tenir en main
des statuettes d’un bronze nuragique.
À Malte, deux commères d’Homère,
Nausicaa et Calypso,
battaient la crique ulysséenne
dont la ceinture d’algues
échappait vainement
aux crocs des roches jaunes.
Ma direction m’a mené
aux côtes de Turquie.
J’étais heureux de cette porte
de terre à serrure continentale.
Sur un caïque grec, la grève j’ai touché
et le fond du malheur
au nom roulant soudain tonnerre de Bodrum…
Un enfant gisait là,
en habit d’écolier.
Le front sur un coussin de sable,
dormeur d’un autre val.
Un enfant mort noyé,
venu il y a trois ans
Au monde de toute mer et terre,
fuyant avec son frère la guerre de Syrie.
Cet enfant sans cartable, sans vie,
promis aux écailles d’obus
et jeté dans la nuit aux mousses du naufrage.
Une photographie de lui
a fait le tour du monde.
Carte postale de guerre,
toujours la même qui revient,
celle de l’enfant mort,
sur ma peau épinglée.
Les rames de mon kayak
font, depuis ce jour-là,
comme un bruit de sanglot
dans l’eau inattentive
au destin d’un enfant
prénommé Aylan.

PEF - Terra Migra, 2018
Commenter  J’apprécie          242





Ont apprécié cette citation (23)voir plus




{* *}