Poésie - L'école - Maurice CARÊME
Le chat et le soleil
Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta.
Voilà pourquoi, le soir
Quand le chat se réveille,
J'aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.
D'une bouteille d'encre
On peut tout retirer :
Le navire avec l'ancre,
La chèvre avec le pré,
La tour avec la reine,
La branche avec l'oiseau,
L'esclave avec la chaîne,
L'ours avec l'Esquimau.
D'une bouteille d'encre
On peut tout retirer :
Si l'on n'est pas un cancre
Et qu'on sait dessiner.
Maurice Carême (La lanterne magique)
Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que le chaton croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.
Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que les choses
Semblent avoir changé.
Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
À cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.
PONCTUATION
- Ce n’est pas pour me vanter,
Disait la virgule,
Mais, sans mon jeu de pendule,
Les mots, tels des somnambules,
Ne feraient que se heurter.
- C’est possible, dit le point.
Mais je règne, moi,
Et les grandes majuscules
Se moquent toutes de toi
Et de ta queue minuscule.
- Ne soyez pas ridicules,
Dit le point-virgule,
On vous voit moins que la trace
De fourmis sur une glace.
Cessez vos conciliabules.
Ou, tous deux, je vous remplace!
L’artiste
Il voulut peindre une rivière ;
Elle coula hors du tableau.
Il peignit une pie grièche ;
Elle s’envola aussitôt.
Il dessina une dorade ;
D’un bond, elle brisa le cadre.
Il peignit ensuite une étoile ;
Elle mit le feu à la toile.
Alors, il peignit une porte
Au milieu même du tableau.
Elle s’ouvrit sur d’autres portes,
Et il entra dans le château.
ENTRE DEUX MONDES
Bonté.
Il faut plus d’une pomme
Pour remplir un panier.
Il faut plus d’un panier
Pour que chante un verger.
Mais il ne faut qu’un homme
Pour qu’un peu de bonté
Luise comme une pomme
Que l’on va partager...
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Tu es la saveur de mon pain.
Le dimanche de ma semaine,
Tu es la ligne du destin
que l'on peut lire dans ma main,
Tu es ma joie, tu es ma peine,
Tu es ma chanson, ma couleur
Et, dans la douceur de mes veines,
Le sang qui fait battre mon coeur.
PRINTEMPS EN VILLE
Le printemps submerge la ville
D'oiseaux qu'il lance sur les toits.
Partout des visages tranquilles
Fleurissent les carreaux étroits.
Le vert a envahi les parcs
Où les platanes font la roue.
Les statues ont bandé leur arc
Et mettent les passants en joue.
Vous aurez bientot des lilas
Où vous cachez, les amoureux,
Et les bancs qui sont près de là,
Surpris par l'éclat de vos voix,
N'écoutent plus les vieux
Que l'hiver retenait chez eux.
On dirait qu'on entend
Pleuvoir le temps
Usant les vieilles pierres
De la rivière;
On dirait qu'on entend
Pleuvoir les ans
Qu'emportent doucement
Les eaux du temps.
A force de tout partager,
Même le meilleur de mon cœur,
D’avoir une âme de verger
Débordant d’oiseaux et de fleurs.
De dessiner autour de moi
Un immense horizon de joie,
D’aimer la vie mieux qu’une sœur.
Je suis comme un ciel étonné
De se trouver, le soir, d’étoiles
Qu’il n’avait jamais soupçonnées.