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Citation de Charybde2


Je vous le dis : on se voile la face. Depuis des décennies, loin des villes et de leurs flux incessants, à l’orée des dernières résidences pavillonnaires, la société a créé un trou noir dans l’espace-temps urbanistique en plaçant quelques-uns dans une situation maximale d’immobilité pour une durée déterminée. On se plaît à imaginer qu’ici, en rase campagne, s’agglutinent les détenus comme des rats au fond d’un trou, que bientôt ils perdront l’usage de leurs incisives à force de paralysie, sidérés par la peur et l’obscurité. On a du mal à se figurer que la prison fonctionne à l’inverse, que c’est dans le chaos perpétuel qu’elle enferme les gens : trocs, deals, changements de cellules, visites, hospitalisations, transferts, entrées, sorties, tout est négociable ici, tout peut s’échanger, à l’instar des produits illicites, qui vont et viennent, se vendent et s’achètent, drogue dans le cul, du parloir aux détenus, des détenus aux surveillants, des surveillants aux dealers, des dealers aux détenus, ou alors, sont envoyés directement de la rue au-dessus des grillages de la cour, passent dans la poche d’un agent, puis transitent par les cuisines, sur les chariots, ou carrément par les fenêtres, sous la forme de sachets pendouillant au bout d’un fil qu’on appelle « yoyo » car on les fait valser, le long des murs, au vu et au su des miradors. Bien sûr, la répression règne, elle bloque des accès, en autorise d’autres, contrôle les entrées, surveille les sorties, réglemente les passages, ralentit la cadence, un par un, deux par deux, attendez votre tour, en file indienne, finalement non, revenez demain. Mais au fond, elle épouse la vie des cellules : délinquants, pédophiles, trafiquants, criminels, chauffards, arnaqueurs, récidivistes s’agglomèrent et prolifèrent. La répression n’y fera rien, enlevez une tumeur, elle revient aussitôt. L’administration le sait. Aussi se plie-t-elle à leurs manières, en mégotant sur les peines, en rabotant les séjours, en fermant les yeux sur la haine, en négociant les retours. L’objectif est que ça usine là-dedans : violences, transactions, délits, produits, rapports, signalements ; peu importe si la colère y résonne, si la folie contagionne, et que le business prospère, il faut que cela vive, partout, tout le temps, comme si vivre et faire vivre pouvaient conjurer le pire, le suicide et la mort.
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