La musique se répandait simultanément dans les deux êtres. La même mélodie qui retraçait leurs vies, une sorte de pardon et de désir, de gêne et de compréhension. Une jouissance extrême pour le père et le fils qui ne se connaissaient pas et qui n'en avaient pas plus envie qu'avant, mais qui étaient à présent liés par un lien plus fort que celui de l'hérédité. La musique, que si peu comprennent et qui offre autant d'interprétations possibles qu'il y a d'âmes sur terre, les avait choisis.
Une vieille femme se présenta. Son naturel et sa beauté fanée impressionnèrent les jeunes artistes. A travers les rides qui ornaient son visage, on pouvait lire une beauté sans pareille, son existence semblait avoir voulu laisser des traces de chaque moment, les rides étaient de pervers souvenirs de son vécu, dévoilés au grand jour et visibles de tous.
Ce soir du 27 décembre, c'est une messe pour les morts qu'il a décidé de me jouer. Involontairement bien entendu ! Mais mon orgueil de vieillard ne peut s'empêcher de penser que cette funeste partition m'est destinée. Avec une fluidité étonnante, ma main dirige une ultime fois ma vie au rythme du violon, suivant celle du chef d'orchestre. La clarinette me ferme les paupières alors qu'un dernier frisson intense et court se propage en moi à l'entrée du violoncelle. Une dernière croche, un soupir, et le geste de la fin. Ces mains qui se rejoignent mettent un terme à la musique et à ma vie.
A partir de ce jour, il capta en chaque personne, une mélodie. Il n'aurait su dire quel était l'état affectif de la personne mais la mélodie, ces sons qui s'échappaient invisibles de sa bouche, lui permettaient de mieux la cerner. Il ne parla point de ce moyen de comprendre le monde, le langage qu'il s'était approprié. C'était son secret, le sens même de sa vie et il ne l'aurait partagé sans se compromettre. A présent il se sentait un peu honteux de n'avoir pas partagé son secret avec Edgar qui lui avait tant donné.
Sébastian ne cessait de se retourner dans le lit, ou plutôt la moitié du lit qu'il prenait soin de ne pas dépasser. Il s'était imaginé une ligne, et veillait à ce que ses orteils ne la franchissent pas. Cette ligne, il l'avait nommée "Gêne", cela sonnait mieux que "Regrets". Entre les deux, il ne savait pas vraiment ce qu'il ressentait, il irait consulter ses fiches, plus tard. En attendant, il fallait la réveiller, ou était-ce manquer de tact ?
"Partir ? Rester ? Ou encore partir, aller chercher les croissants et revenir ? Ah si seulement il y avait une fiche sur le comportement à adopter après une nuit d'amour, et avec sa voisine, et qui plus est, son amie. Et elle sait, elle sait que je suis différent, ou handicapé pour certains."
Il traversa le sanctuaire silencieux puis revint sur ses pas.
- Ah, j'ai omis de te dire, selon la fiche 28 du manuel de l'autiste parfait, toi qui était mon bonheur, tu dois devenir ma dépression, ma tristesse.