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Citation de Woland


Woland
30 décembre 2015
[...] ... Mes parents s'entendaient mal. Ils n'avaient guère d'éducation mais moins encore de vertus et n'observaient pas les commandements de Dieu - tous défauts que, pour mon malheur, j'héritai - aussi se souciaient-ils fort peu d'appliquer des principes ou de réfréner leurs instincts, et il suffisait d'un rien pour déchaîner une tempête, qui se prolongeait ensuite des jours et des jours, sans qu'on en vît la fin. En général, je ne prenais pas parti car, pour moi, c'était pareil de les voir l'un ou l'autre écoper ; quelquefois je me réjouissais parce que mon père cognait, d'autres fois parce que c'était ma mère mais jamais je n'en fis une affaire d'Etat.

Ma mère ne savait ni lire, ni écrire ; mon père, oui, et il en était si fier qu'il le lui jetait à la figure à tout bout de champ et l'appelait sans cesse, avec ou sans raison, pauvre ignorante, injure très grave pour ma mère, qui devenait comme un dragon. Quelquefois mon père s'en venait l'après-midi à la maison, un papier à la main, et, bon gré, mal gré, nous faisait asseoir tous les deux dans la cuisine pour nous lire les nouvelles ; il les commentait ensuite et je me mettais à trembler, car ainsi commençaient les disputes. Ma mère, pour l'offenser, prétendait qu'il n'y avait rien de tout cela sur le papier et que mon père inventait tout ce qu'il disait ; en l'entendant, celui-ci perdait la tête, il hurlait comme un fou, la traitait de sorcière, d'ignorante et finalement criait que, s'il avait su inventer le contenu des papiers, il n'aurait jamais eu l'idée de l'épouser. C'en était trop. A son tour, elle le traitait d'ours mal léché, l'appelait mendigot et portugais ; lui, comme s'il n'avait entendu que ce mot pour la frapper, enlevait sa ceinture et la poursuivait jusqu'à n'en plus pouvoir tout autour de la cuisine. Au début, j'attrapais par-ci, par-là un coup de ceinture, mais, avec le temps, je compris que la seule manière de ne pas se mouiller était de ne pas être sous la pluie et, quand je voyais les choses tourner mal, je les laissais seuls et m'en allais. Tant pis pour eux.

En vérité, la vie dans ma famille n'avait rien de drôle, mais nous n'avons pas le choix et parfois nous ne sommes pas nés que notre route est déjà tracée ; je m'efforçais donc d'accepter mon sort, c'était la seule façon de ne pas désespérer ... Tout petit, à cet âge où la volonté de l'homme est le plus maniable, on m'envoya quelque temps à l'école ; la lutte pour la vie, disait mon père, était très dure et il fallait se préparer à l'aborder avec les seules armes capables de nous faire triompher, les armes de l'intelligence. Il me disait tout cela d'un trait, comme de mémoire, et sa voix me semblait alors se voiler et prendre des nuances que je ne lui connaissais pas. Il se remettait bientôt et, se mettant à rire bruyamment, finissait toujours par me dire, avec une sorte d'affection :

- "Ne fais pas attention, mon garçon ... Je me fais vieux !"

Et il restait pensif, répétant à voix basse et par deux fois :

- "Je me fais vieux ! ... Je me fais vieux ! ..." ... [...]
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