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Citation de Carmenabel


Les jours rallongent. Désormais, dès les premières heures
du matin, la classe est emplie de lumière. Les fragrances
sucrées des fleurs d’acacia venues de la cour de récréation
font oublier l’haleine rance du terrain vague. On se sentirait
plus légère sans le passage obligé de la chasse aux poux.
Zohra attend docilement, les yeux résolument baissés vers
le plancher de l’estrade.
Roseline ne peut pas, préfère ne pas… Elle profite de
l’inattention de la maîtresse pour écraser sa joue gauche sur
ses bras croisés et regarder dehors. Le terrain vague semble
lui aussi sortir d’un long assoupissement. La brise légère
chatouille les touffes d’herbe qui poussent avec une vigueur
nouvelle là-bas, sur l’estrade, les doigts ont repris leur
crissement entêtant.
La terre se couvre d’un pelage frémissant, étoilé des
taches jaunes des pissenlits et des points bleu tendre des
myosotis, qui sont comme des éclats du ciel lisse.
Zohra gémit faiblement.
– L’hygiène, c’est l’hygiène, martèle la voix pincée de la
maîtresse.
Roseline colle sa paume droite sur son oreille, elle écoute
le sang battre dans sa main. Elle suit le voyage d’un petit
nuage de coton qui frotte l’immensité du ciel.
Roseline, un peu de tenue, tout de même. On n’est pas
dans une étable !
Roseline se redresse à regret. Avale sa salive. Reprend sa
posture de bonne élève. Ses yeux se brouillent à force de
fixer les doigts agiles qui labourent les cheveux de Zohra.
L’image devient floue, s’éloigne. Il lui semble qu’on
farfouille dans sa propre tête, ça fourmille là-dedans, toute
une cavalcade de petites bêtes noires s’affole à l'approche
des griffes qui taillent de longues saignées indolores dans
son cerveau, gravent des signes illisibles qui écorchent sa
peau sans la toucher. Elle voudrait secouer le poids qui
alourdit sa nuque. Il y a quelque chose qui frémit dans son
ventre, un flot informe qui reflue, s’étrangle dans sa gorge,
s’arrête au bord, au bord des lèvres, et se perd faute de
trouver les mots. Ne laissant dans la bouche qu’une traînée
amère.
Là-haut, le nuage blanc s’effiloche, ayant fini de gommer
les impuretés du ciel. Mêlée aux effluves fleuris du
printemps, il flotte sur le terrain vague comme une sourde
odeur de crime.
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