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Citation de Charybde2


Après quinze ans de dictature, Augusto Pinochet s’était résolu à organiser un référendum national – pour ou contre la poursuite de sa gouvernance -, attendu comme un plébiscite. En dépit de son âge avancé et de la fin de la menace communiste, les conseillers du dictateur n’étaient pas inquiets : tous les médias appartenaient aux groupes privés affiliés, les défenseurs du « Non » au référendum n’auraient que des spots télévisés à proposer face au vieux Général, présenté comme père protecteur de la nation. Ils avaient tort : le monde avait changé sans eux, qui n’avaient rien vu.
Malgré la victoire de la Concertation (la coalition des partis démocrates) au fameux référendum, Stefano appréhendait son retour au pays. Ce fut pire. Jaime Guzmán, un jeune professeur de droit constitutionnel formé à l’École de Chicago, avait adopté les théories d’Hayek et de Friedman, dérégulant tous les secteurs d’activités pour faire du Chili, dès 1974, la première économie néolibérale au monde.
Vingt ans plus tard, le contraste était saisissant. Le centre-ville de Santiago, les enseignes, les mentalités, tout avait changé : Stefano ne reconnaissait plus rien. Qu’était-il arrivé à son pays ?
L’oubli fait aussi partie de la mémoire. Atomisée par les années de plomb, la société chilienne, autrefois si généreuse, s’était confite dans la morosité d’un puritanisme bien-pensant où la collusion des pouvoirs pour la privatisation de la vie en commun était sans frein : supermarchés, pharmacies, banques, universités, énergies, les Chicago Boys de Guzmán avaient passé le pays au tamis de la cupidité, interdisant syndicats et revendications salariales. Un Chilien sur cinq vivait dans des conditions de pauvreté extrême, sans droits sociaux, mais qu’importe puisqu’il y avait des malls et des shopping centers où ils pourraient acheter à crédit la télé à écran plat qui étoufferait dans l’œuf toute velléité de protestation.
Les militaires ayant piétiné cent fois le droit international, Pinochet avait modifié la Constitution pour graver dans le marbre les rouages du système économique et politique (une Constitution en l’état immodifiable) et s’octroyer une amnistie en se réservant un poste à vie au Sénat, où les lois se faisaient. La mort du vieux Général au début des années 2000 n’y changea rien. Manque de courage civil, complicité passive, on parlait bien de mémoire mais tout participait à tordre les faits, à commencer par les manuels scolaires où le coup d’État contre Allende était dans le meilleur des cas traité en quelques pages, voire pas du tout…
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