Catherine Ternynck

Qu'est-ce qu'une rencontre? C'est un transfert de présence. Un transfert secret, éminemment singulier, qui incessament réinvente l'autre en soi. Après s'être quittés, ceux qui se sont vraiment rencontrés se sentent plus présents à eux-mêmes, plus vivants, plus aimants.

On renaît toujours de ce que l'on a consenti à perdre.

"Âme", le mot est bref, un seul son mêlé d'un peu de souffle, presque un murmure. À peine prononcé, il ouvre l'espace, suggère une échappée.

On ne passe pas une vie indemne. Tout homme, un jour ou l'autre, se trouve contraint à perdre. C'est plutôt une chance, car ce à quoi il renonce lui sera rendu, d'une autre façon, à un autre niveau, transformé, transcendé.

J'ai grandi, voyez-vous, avec cette idée-là, ma mère pouvait à tout instant rendre l'âme. Il m'imcombait cette mission secrète, inconnue de tous, d'arrêter l'hémorragie. J'étais le garrot de son être toujours en fuite. Les autres enfants semblaient insouciants. Je m'en étonnais... Je sais aujourd'hui que c'est toujours ainsi. Lorsque l'enfance est heureuse, le bonheur s'impose comme un lieu commun. Lorsqu'elle ne l'est pas, le malheur devient un désastre personnel.

Ainsi enlacés aux mots, quelques instants, au bord de l'abîme, nous dansons. C'est une folie douce.

Les petits malheurs se racontent. Les grandes douleurs sont vouées au silence. Mais ce n'est pas si simple car sous les petits malheurs bavards, il y a parfois de grandes douleurs muettes.

L’Âme de l’enfant est si légère qu’elle se détache sans bruit. Celui qui s’en sépare ne le sait pas.

La mémoire sait bien des choses dont elle ne se souvient plus.

Quel que soit le ton du départ, celui qui s'en va le sait : ici quelque chose d'indéfinissable s'est trouvé ou perdu, ouvert ou fermé... quelque chose s'est révélé ou éteint. L'autre n'est plus tout à fait le même en soi. L'ordre intime s'est modifié.

Lieu inentamé, vierge encore de parole. Au bord des rideaux mal joints, la lumière s'impatiente. Elle voudrait bondir. Bientôt elle envahira l'espace. Suivront les paroles, les pensées, les souvenirs, les regrets et les désirs, les parfums et des larmes.
Me vient l'idée d'arrêter l'intruse, de la remettre à sa place. Pour qui se prend-elle ? Je me résigne. On ne peut lutter contre le jour.

tout ce qu'un enfant met à disposition de sa mère blessée, il s'en prive irrémédiablement et s'en trouvera plus tard apauvri. La faille naît toujours de s'être logée dans la faille d'un autre. Ainsi s'incarne-t-elle en secret d'une génération à une autre. Le mal est ancestral.

Cet enfant a la capacité inouïe de voir plus loin que ce qu'il regarde. Il ne s'arrête pas au réel, il se meut à la frange de l'invisible. Et s'il voit si loin, c'est parce qu'il n'a pas encore beaucoup appris. Il voit à la mesure de son ignorance. Il est visionnaire.

Tout lieu aimé porte une illusion d'immortalité.

On a beau vouloir se rejoindre, on se manque toujours un peu.

De cette douleur, il ne parla pas tout de suite. Il faisait partie de ces visiteurs prudents qui ont besoin de temps pour se sentir invités.

Ce que l'on ne comprend pas, on peut le rêver.

J’ai souvent pensé en l’écoutant qu’on peut chercher toute une vie dans les livres ce qui, de l’enfance, est resté incompris et continue à faire mystère.

Avant de rencontrer le visiteur, je l'ai entendu venir. J'ai écouté ses pas crisser sur le gravier de l'allée puis résonner à chaque marche de l'escalier. J'ai perçu son hésitation ou son impatience, son inquiétude parfois. L'abord est déjà un langage.

Car il y a au fond des choses, des plus ordinaires à la plus précieuse, un creux de mémoire et dans ce creux, parfois, les traces d'un amour dormant dont on ne sait rien, si ce n'est qu'il attend pour se dire.