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Citation de Ledraveur


Le sexe de l'ethnologue
Outre le caractère, le tempérament, les goûts et les préférences du chercheur, des données biologiques comme le sexe de l'ethnologue sont, comme certains l'ont montré, des données qui influent sur les informations recueillies. Le fait d'être une jeune femme a effectivement favorisé mon intégration auprès de plusieurs maîtres et/ou responsables des centres qui sont, à de rares exceptions près, des hommes. Il a participé à l'acquisition d'informations, qui, si j'avais été un homme, n'auraient pu me parvenir. L'univers quasi exclusivement masculin des autorités du bouddhisme tibétain et son large environnement (fidèles) féminin m'ont ainsi permis d'accéder à divers procédés de séduction qui sont certainement encore sous-estimés. Ces procédés ne fonctionnent pas à sens unique, ils peuvent venir du maître comme de la fidèle potentielle. Notons que les principales recherches universitaires sur le bouddhisme tibétain en France sont jusqu'à ce jour, le fait d'hommes. Ces derniers n'expliquent pas la surreprésentation des femmes dans les rangs du bouddhisme tibétain ou en ont une explication qui reste superficielle. Il me paraît nécessaire de tenter d'apporter un éclairage et un point de vue féminin (et non féministe) sur un aspect marquant qui participe à la compréhension générale de l'objet, à savoir le maître et les femmes, plus généralement le bouddhisme tibétain et son rapport au féminin.
Un terrain risqué ? Comme je l'ai déjà indiqué, la grande majorité de fidèles et aussi certains lamas rencontrés dans les centres ont fait œuvre de prosélytisme (non agressif mais récurrent, insistant et insidieux) à mon égard. Un lama m'a écrit ceci à propos de ma recherche : « Si cette connaissance reste uniquement du domaine intellectuel, elle risque de se retourner contre vous. Ce qui manque, c'est l'expérience de la pratique bien sûr mais surtout la grâce de la bénédiction qui commence par la prise de refuge, les initiations. »
Nombreux sont ceux qui ne comprenaient pas pourquoi je ne pratiquais pas et pourquoi je n'expérimentais pas moi-même la relation au lama. L'explication karmique de ma présence et de mon sujet était constamment mise en avant. Pas de place pour le hasard. Je devais avoir des résistances et ma fierté et mon orgueil m'empêchaient de m'avouer l'évidence même. J'ai noté certaines exclamations qui m'ont été rapportées à de nombreuses reprises : ; « De toute façon, tu finiras dedans » ; « Tu finiras par prendre refuge » ; « Tu verras, tu seras aspirée », « Si tu étudies ça, ce n'est pas un hasard » ; « Moi aussi j'avais des résistances au début » ; « Il faut arrêter de te cacher », etc. Parfois insistantes, ces remarques n'ont pas eu l'effet escompté. Par contre, il importe de noter un fait significatif. Pendant plusieurs années de présence sur le terrain, j'ai été amené à croiser d'autres étudiants qui travaillaient sur un aspect du bouddhisme tibétain en France. Sur neuf d'entre eux, cinq, qui au départ étaient distants face à leur objet de recherche, voulant garder toute leur objectivité, sont devenus bouddhistes. Les quatre autres étaient déjà bouddhistes ou sympathisants. J'en ai retrouvé certains dans différents centres : un stagiaire pratiquant laïc, une nonne et un autre en retraite de trois ans. Ils ont tous arrêté leurs études pour se consacrer à la pratique bouddhique. Ils se sont convertis à cause d'un maître (non pas dans un sens péjoratif, mais dans le sens où le maître est à l'origine de leur conversion). Aborder le maître peut donc s'avérer un exercice délicat ! Plusieurs fidèles et maîtres amusés me diront que j'ai une chance extraordinaire de pouvoir les approcher (les lamas) mais qu'ils ne comprennent pas pourquoi et comment je n'ai jamais souhaité m'investir avec l'un d'entre eux ; certainement une histoire de karma...
p. 38 et 39
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