AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Cécile Campergue (197)


Le charisme du Dalaï-Lama va devenir si important qu’il va être une des personnes les plus médiatisées au monde, une figure clef, à la fois dans la promotion du bouddhisme, de l’unité tibétaine et du nationalisme tibétain, de la défense de la cause tibétaine, plus généralement même, de la paix mondiale -22-.
Sa volonté de créer une unité afin d’exercer une pression sur la Chine, a entraîné depuis l’exil, l’incorporation des régions du Kham et de l’Amdo pour désigner le Tibet culturel et national. Ces régions, comme nous l’avons vu, ont toujours été considérées comme nomades où les lignées étaient largement autonomes. L’histoire du Kham, son identité culturelle, montre bien qu’il était lié à des maîtres locaux et que l'influence de Lhassa y était moindre. Avec l’exil et la volonté d’unification pour faire bloc contre la Chine, le Dalaï-Lama se pose en représentant du grand Tibet historique et culturel regroupant des provinces que le gouvernement de Lhassa n’administrait pas auparavant. La construction imaginaire des élites de la diaspora d’un Tibet en exil unifié pêche ainsi par essentialisme.
Le refus d’assimilation pour nombre de Tibétains vivant en Inde (refus massif de prendre la nationalité indienne par exemple) peut se lire comme un désir de retour à la terre sacrée mais aussi l'expression d’une ethnicité -23- et d’un statut de réfugié octroyant des droits majeurs. Audrey Prost commente le discours nationaliste de la manière suivante :
« The Tibetan nationalist discourse stressing the préservation of the Tibetan héritage on one hand, and the western cultural investment in Buddhism, on the other, happily coïncide in awarding high symbolic currency to the préservation of ‘authentic’ (largely Buddhist) Tibetan lifestyles. Thus gaining access to économie capital through sponsorship means panicipating in the more general agenda of cultural préservation. » (Prost, 2006 :241)

Le sentiment d'identité nationale s’illustre par exemple par la langue commune (le dialecte de Lhassa), un drapeau tibétain, un chant écrit par le tuteur du Dalaï-Lama comme hymne nationale et l'anniversaire du pontife, jour de célébration populaire.
Si le combat politique et la recherche de l’unité est une des priorités du G.T.E., faisant du bouddhisme l'étendard de la nationalité tibétaine, des problématiques internes directement liées à cette recherche d’unité mais également à des facteurs religieux et politiques vont bousculer la communauté tibétaine exilée, loin d’être unifiée. L’émergence d’une classe moderne éduquée au Tibet mais aussi en exil, à la fois indépendante du communisme et de la « domination lamaïste -24- » ne semble pas, au grand regret de l’écrivain Dawa Norbu, être pris en compte par le Dalaï-Lama -25-. Les conflits liés à l'exercice du pouvoir qui partagent et divisent les Tibétains ont des répercussions sur toute la communauté. La sacralité du Dalaï-Lama ne peut être questionnée et les critiques des institutions en exil sont perçues comme des attaques envers le pontife. La censure qui touche plusieurs intellectuels dissidents en est un exemple : c’est le cas de Jamyang Norbu -26-, indépendantiste dont les œuvres ont été à ...
------------
22- Luc de Heush mentionne dans Charisme et Royauté, qu‘« il y a lieu de prendre en considération dans la domination charismatique un jeu dialectique entre la séduction personnelle du leader et les groupes aux intérêts fort différents qui sont les jouets de cette séduction même », Société d’ethnologie, Nanterre, Paris, 2003, p. 25.
23- C'est d’abord dans les sciences sociales américaines que le terme d‘ethnicity s'impose à partir des années 1970. P. Poutignat ; J. Streifl-Fenart, Théories de l'ethnicité, éd. PUF Paris, 1995.
24- R. Bamett, «Violated Specialness... », in Imagining Tibet, op.cit., p. 301.
25- Ibidem. Dawa Norbu, Tibet: The RoadAhead, London, Rider, I997,
26- intellectuel de renom vivant aux États-Unis. Cf : http://www.rangzen.net


page 90

… plusieurs reprises censurées. Perçu comme un traître et un hérétique par de nombreux Tibétains, il critique la « Voie du Milieu » du Dalaï-Lama.

page 91

(Jamyang Norbu : "the Middle Way Approach"
http://www.phayul.com/news/article.aspx?article=The+Great+Middleway+Referendum+Swindle+-+by+Jamyang+Norbu&id=35262&t=1&c=4
et ...
http://www.phayul.com/news/article.aspx?article=THE+DIALECTICS+OF+BEING+SHEEP+%E2%80%93+by+Jamyang+Norbu&id=35039&t=1&c=4

http://camisard.hautetfort.com/index-3.html
et
http://camisard.hautetfort.com/archive/2008/03/24/tibet-2008.html
Commenter  J’apprécie          50
C’est ainsi que le bouddhisme, fer de lance du nationalisme tibétain au Tibet et en exil a pu être instrumentalisé à des fins politiques : la volonté de préservation de la culture et de la religion tibétaine, priorité de la politique du gouvernement tibétain en exil, va passer par la diffusion et la promotion du dharma ; le combat politique d’un Tibet libre offrant une large tribune aux acteurs du bouddhisme tibétain.
La logique missionnaire s’est révélée efficace si on en juge par la présence mondiale de lamas tibétains ayant mis en place des centres et des groupes d’études permettant la propagation de leur religion. Ces lamas, notamment ceux qui occupent un rang hiérarchique important dans l'institution ont conservé leur autorité traditionnelle en exil et demeurent les détenteurs et les dépositaires du pouvoir. D’autres étaient peu connus et ont acquis une réputation internationale en venant en Occident, comme Trungpa ou Namkhaï Norbu. Plus de la moitié de ces lamas exilés se sont installés aux États-Unis, au Canada, en Europe de l’Ouest, en Angleterre, en Australie ou encore en Nouvelle-Zélande -39-. La création d’organisations transnationales dépendant de l’autorité d’un maître en particulier en est un des principaux résultats -40-.
Précisons d’emblée que la clé de voûte de l'édifice religieux bouddhiste tibétain est le lama (tib. bla ma). Sans lui, il n’y a pas de progression spirituelle possible. En effet, le maître est l’intermédiaire exigé qui donne l’accès à l’Éveil. Ce dernier (l’Éveil) est donc subordonné à l'appartenance à une lignée de transmission par moyens sacramentels (les lamas). Le lama agit comme catalyseur, il est à la fois objet de conversion, de respect et de dévotion. Essentiel, il est celui autour duquel se structurent des communautés de fidèles, le sangha (au départ, le sangha ne concernait que la communauté monastique). Comme l’écrit F. Jagou, « Sans le bla-ma, qui est le digne ambassadeur des Bouddhas dans le monde phénoménal, il n’y a pas de Dharma -41- ». D’ailleurs, alors que tous les bouddhistes prennent refuge -42- dans les « Trois Joyaux » que sont le Bouddha, le Dharma, le Sangha (le Bouddha historique, la voie qui mène à la libération et la communauté de ceux qui suivent l’enseignement du Bouddha), le bouddhisme tibétain ajoute à cela les « Trois Racines » : le lama, le yidam (déité d’élection) et la dakini (messagère de l'espace). Philippe Cornu souligne que les trois joyaux du refuge sont inclus dans le maître, dont le corps est le Sangha, sa parole étant le Dharma et la Dakini, et son esprit étant à la fois le Bouddha et la déité -43-. Cependant, il ne faut pas confondre le maître tantrique Vajracarya (« maître de vajra ») avec les différents types d'enseignants religieux qui peuvent être appelés lamas. Ainsi, comme dans l’aire culturelle tibétaine où l’emploi de lama est multiple -44-, il en est de même dans le contexte européen.
Dans la tradition bouddhique tibétaine, le politique et le religieux sont inextricablement liés.

---------------
39 - G. Coleman, A Handbook of Tibetan Culture, London, Orient Foundation, I993.
40 - Comme les organisations suivantes : Dzogchen community, Rigpa International, Karmapa Charitable Trust, La Fondation pour la préservation du Mahayana, La Nouvelle Tradition Kadampa, etc.
41 - « La politique religieuse de la Chine au Tibet », op.cil., p. 40.
42 - L‘entrée dans la voie bouddhique. Le terme sarana traduit par refuge, désigne un point d’appui. Prendre refuge implique la confiance et la foi dans la véracité du Bouddha, l'efficacité du Dharma et l'honnêteté du Sangha. Lors de la cérémonie de refuge, l'aspirant est à genou et récite la formule de refuge par trois fois et se voit couper une mèche de cheveux par le maître. Ce dernier lui remet un cordon de protection, un livret de pratique et un nom tibétain.
43 - Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Seuil, Paris, 2001, p. 633.
44 - Cf. G. Samuel dans Civilized Shamans, Buddhism in Tibetan Societies, Smithsonian Institution Press, Washington and London, 1993.

page 17


D’ailleurs, au Tibet avant l’invasion chinoise, la fusion du pouvoir temporel et spirituel était totale avec l'exemple connu de l’institution des Dalaï-Lamas -45-. On peut alors s'interroger : comment une religion riche et complexe, largement idéalisée, constituée de façon bureaucratique et même « aristocratique », « ce qui est opposé à la représentation démocratique qu’en ont la majorité de ses adeptes occidentaux -46- » a pu trouver un si large écho en Occident ?
...
------------
45 - « Maître Océan de Sagesse », titre donné par Altan Khan à Sönam Gyatso, abbé de Drepung.
46 - R. Liogier, Le bouddhisme mondialisé, op.cit., p. 5l.

page 18
Commenter  J’apprécie          50
Au prix des stages s'ajoute le prix de l'hébergement et de la nourriture. Les disciples sont en fait souvent encouragés par leur(s) maître(s) à tout faire pour tenter d'amener des fonds dans l'organisation et de participer par-là aux différentes activités engagées. Cela prend des formes complètement hétérogènes. Un artiste peintre vend par exemple quelques-unes de ses toiles pour le bénéfice du centre dont il dépend ; un autre dispense des cours de yoga en plus de son activité professionnelle dont les recettes vont au maître et à ses activités, un autre tient un commerce dont la moitié des bénéfices va au centre, etc. L'attribution d'un pouvoir spirituel aux diverses donations amène à percevoir l'organisation d'un maître comme une « banque ou bourse de mérite et prestige », comme le suggère Bernard Hours à propos du monastère bouddhiste en Asie du Sud-Est. En tant qu'institution, le monastère confirme, légitime et accentue les inégalités, « tout comme les banques ne prêtent qu'aux riches » et à ceux qui détiennent des garanties. Dans un contexte fort différent, ces interprétations métaphoriques sur le monastère d'Asie du Sud-Est, sont tout à fait pertinentes et peuvent s'appliquer aux centres français, plus largement occidentaux.
Cependant, l'aspect purement matériel de l'argent n'est pas, bien entendu, le seul moyen d'aider son maître, son centre et l'activité qui en dépend. Donner son temps, ses compétences, son énergie et ses bras est un complément courant, qui, par contre, peut être systématisé car il constitue un des fondements sur lequel s'appuie un centre, qui fonctionne largement (pour certains exclusivement) grâce à l'activité bénévole.
p. 227
Commenter  J’apprécie          40
La présence sur le sol français de plus de 200 « centres du dharma »-30- (exactement 204 pour l’année 2005) dont plusieurs temples et quelques monastères, mérite une attention particulière quant aux modalités de diffusion et de transmission de cette religion (le bouddhisme tibétain)-31- dans un nouveau contexte culturel et religieux. Même si ces centres ne sont pas les seuls objets de cette étude, ils sont des lieux incontournables dans le processus de diffusion, d'implantation et de transmission du dharma. Ils sont des lieux privilégiés pour l’observation directe de pratiques religieuses, sociales, économiques et politiques. Ces divers centres dépendent tous de
l’autorité d’un maître particulier.
Après l’exil de plusieurs milliers de Tibétains (80 000-100 000)-32- en Inde en 1959 sous la protection du Dalaï-Lama (certains maîtres avaient déjà quitté le Tibet à partir de 1951), le gouvernement tibétain, installé à Dharamsala, a choisi le bouddhisme comme fondement du nationalisme. Comme l’écrit Fabienne Jagou : « Depuis sa fuite du Tibet, le XIVe Dalaï-Lama et son gouvernement en exil véhiculent l’idée que la religion tibétaine est unique, qu’elle unit tous les Tibétains et qu’à ce titre elle doit être préservée-33- » et de ce fait, être diffusée.
Les Tibétains — tout au moins l’élite tibétaine en exil — ont adopté une représentation mythique d’un Tibet sacré, national et spirituel, indispensable pour maintenir la vision d’un combat pour un « Free Tibet ». Cette construction (reconstruction) se superpose à la représentation mythique occidentale du Tibet, véritable paradis terrestre, un Shangri-La -34-. Ce dernier a facilité l'exportation puis l’adoption, somme toute assez rapide, par l’Ouest de cette religion -35-, l'imaginaire occidental concernant le Tibet étant empreint de représentations positives (l’idée selon laquelle le Tibet abrite des maîtres réalisés pouvant sauver l’Occident est répandue chez les fidèles ; une supériorité spirituelle est alors attribuée aux Tibétains).
Yves Lacoste rappelait qu’un exode implique « qu’il y ait la possibilité de s’implanter ailleurs, et surtout qu’une notable partie du groupe expulsé ait les capacités d’adaptation, les types d’activités et les contacts qui lui permettront de s’insérer, de façon plus ou moins dispersée, parmi des sociétés différentes -36- ». La défense de la cause tibétaine, qui a eu un impact dans de nombreux pays, illustre les capacités d’adaptation du Dalaï-Lama et du gouvernement tibétain en exil dans l’habileté à utiliser les communications modernes mais aussi dans la mobilisation d’organisations
internationales aboutissant à la création d’une « communauté affective transnationale -37- » de sensibilités diverses, largement sympathisante bouddhiste -38-.

----------
30 Un centre est juridiquement une association régie par la loi de 1901 ou celle de 1905. Pour les comptabiliser, j’ai utilisé le Guide des centres bouddhistes en France de P. Ronce (1998), les Journaux officiels, les sites internet des centres et mes observations. Je n'ai pris en compte ni les Dom Tom ni la Corse.
31 J’emploie le terme « bouddhisme tibétain » même s'il est impropre car impliquant une imbrication étroite entre le Tibet et une forme de bouddhisme particulier. Le bouddhisme himalayen se pratique au Bhoutan, en Inde du Nord, au Ladakh, en Mongolie et au Népal.
32 M. C. Goldstein. A Historçv of Modem Tibet, 1913-1951 : The Demise of the Lamaist Slate, Berkeley University ofCalifomia Press, 1989, p. 825.
33 « La politique religieuse de la Chine au Tibet », Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2001, vol. 32 n°1, p. 53.
34 James Hilton inventa ce lieu mystique en 1933 pour son roman Horizons Perdus.
35 P. Bishop, « Not only a Shangrila », in Imagining Tibet, op.cit., p. 204.
36 Y. Lacoste, « Géopolitique des diasporas », Hérodote, 2° trimestre 1989, n°53, p. 9.
37 A. Appadurai, Le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, Paris, 2001.
38 Beaucoup de défenseurs de la cause tibétaine sont d’anciens maoïstes, d'anti-communistes, de sympathisants pour la lutte des peuples opprimés, etc.

page 16
Commenter  J’apprécie          40
Lama Kunzang a été arrêté à son domicile. Les attaques à son égard vont de l'enrichissement personnel* aux abus sur mineurs. Comme me le dira Paul (cinquante-huit ans), ayant vécu pendant plus de vingt ans à Nyima Dzong, Lama Kunzang a eu tout le panel des attaques possibles et imaginables, et ceci était essentiellement dû à d'anciens fidèles, qui, à cause de problèmes de couple et d'éducation des enfants se sont retournés contre le lama. Lama Kunzang était le seul maître dans son organisation, c'est « lui qui donnait les ordres » me dira Paul, qui souligne « le lama m'a tout donné pendant vingt-cinq ans ». Lama Kunzang n'habitait pas sur le centre, il vivait avec sa femme et ses enfants. Lorsqu'il s'est fait arrêter, le CEC a été perquisitionné. En effet, L. Kunzang avait publié une revue trilingue Adarshadatant de 1996) avec un texte précisant que « sans l'aide de Tulkou Péma, le centre OKC n'aurait pas pu voir le jour ni croître ». L'association CEC a tout de suite répondu par la négative, ce qui aurait irrité L. Kunzang. Un des responsables du CEC m'a dit que Lama Kunzang n'a jamais fait de retraite de trois ans et n'a jamais reçu le titre de lama de Kangyour Rinpoché. Il s'agit pour lui d'un « gourou autoproclamé » qui a « créé des centres avec de l'argent ». Ayant bien connu Lama Kunzang, mais n'étant jamais allé à Nyima Dzong, ce responsable est attristé : « Des gens intelligents ayant fait des retraites à Chanteloube sont partis suivre Lama Kunzang. Les gens sont naïfs, ils ont besoin de guides, de réponses, de structures, de hiérarchies. On remplace une sujétion par une autre. Or le dharma, ce n'est pas cela ». Une certaine orthodoxie religieuse justifie ou non les maîtres et disciples authentiques et ceux qui n'en sont pas. Des raisons plus pragmatiques participent à la revendication d'une orthodoxie religieuse qui est rarement le fait d'aspects purement religieux. Lorsque j'ai demandé au responsable du CEC pourquoi les autorités tibétaines, si elles étaient convaincues qu'il s'agissait là d'un imposteur n'ont jamais réagis, ce dernier me dit alors : « De quel droit et au nom de quoi les devraient intervenir ? Les Tibétains ne sont pas mieux, il faut voir le nombre de jeunes tibétains qui abusent de leur statut... ». Selon lui : « Les maîtres n'interviennent pas pour ne pas couper les gens du vrai dharma. Ils mettent l'accent sur la responsabilité individuelle. Ce n'est pas leur rôle d'interdire ou de critiquer telle ou telle personne. C'est à chacun de tester les qualités du maître ».
---
*Le château de Castellane avait été mis à la disposition de la communauté qui n'avait pas les moyens de l'acheter. C'est en vendant un autre château dont l'association était propriétaire qu'elle a eu la capacité financière d'acheter le « Château des Soleils » au L. Kunzang. La somme de la vente apparaît contestable soulignant que L. Kunzang a réalisé un bénéfice non négligeable. Les sociétés commerciales de l'association sont détenues à 80% par sa femme et 20% par les fidèles du centre, ce qui a été également un sujet de plainte.
p. 280
Commenter  J’apprécie          38
Le subjectivisme et le relativisme sont prégnants à Karma Ling, accompagnés d'une « morale du don de soi qui est exagérément amplifiée » avec un impératif d'obéissance exalté. Ayant rencontré des personnes qui ont été résidents quelques mois ou plusieurs années, la subordination au maître est effectivement un point clef dans l'organisation, et toute critique est considérée comme venant de l'ego du disciple ; l'autorité du maître a du mal à être discutée et remise en cause (caractéristique de la majorité des centres où j'ai pu me rendre). Dans une Lettre du Sangha Rimay, Lama Denys annonce qu'il prend sa « retraite » :
« Je pars ainsi en retraite, quittant toutes responsabilités administratives et organisationnelles, pour me consacrer à la transmission, aux enseignements, retraites, traductions et publications. Je resterai néanmoins pleinement présent comme le Lama Rimpotché du Sangha ; l'inspirateur de sa vision (via le Ganchi de la Congrégation-Bureau du Rimpotché) ; de sa contemplation (via les orientations dans le Dharma) et ses actions (via les Ganchis des Dharma Lings et leurs différents projets). Depuis longtemps déjà, je ne suis plus responsable du fonctionnement de l'institut. Désormais, je n'y habiterai plus non plus, coupant ainsi définitivement avec mon image de directeur du centre. Ceci correspond à une évolution de fond (engagée de longue date) dans la vie et la santé naturelle d'une passation de larges responsabilités à mes disciples aînés. Je souhaite, par mon départ physique, faire un geste symbolique encourageant les personnes concernées à prendre leurs pleines responsabilités, et leur offrir pour cela tout l'espace nécessaire ».
On remarque bien le paradoxe entre une volonté affichée de donner de l'autonomie aux différents disciples aînés, et en même temps, l'insistance sur le poids de sa présence constante à travers toutes les activités de l'Institut. L'autonomie est demandée en même temps que la subordination au maître. Ce qui renvoie aux conclusions de Mazenq sur les « techniques de management » telles qu'elles sont élaborées à Karma Ling : elles délivrent un « message contradictoire de double contrainte ». « On exige l'autonomie de l'acteur et en même temps la soumission consentie au maître spirituel, ce qui amplifie les effets de l'aliénation et paralyse l'action ». Les orientations prises et postulées par Lama Denys se doivent donc d'être relayées par ses proches disciples pour être efficientes et durables, ce qui n'est pas toujours les cas, d'où des départs, parfois anticipés.
En sortant du cadre de l'organisation interne de la congrégation dirigée par Lama Denys, le formidable éclectisme qui se donne à voir dans les programmes de ses centres témoigne d'un syncrétisme pouvant être considéré comme stratégique, dépassant les seules préférences personnelles.
Un syncrétisme stratégique ?
Voici une confidence d'un enseignant bouddhiste ayant bien connu Lama Denys :
« Lama Denys a le bras long et il est particulièrement malin : c'est simple, il prend tous les trucs à la mode ; chamanisme, enseignements Shambhala, Ban, et tous les enseignements new-age susceptibles d'appâter le poisson. Et puis, si un jour le bouddhisme ne mord plus, qu'il n'est plus à la mode, il aura toujours ses chamans et ses Indiens pour séduire une clientèle. »
Cette remarque critique n'a pas été la seule à l'égard de ce que certains regardent comme un « syncrétisme douteux ». L'activité de Lama Denys qui se déploie selon le slogan « Unité dans la Diversité » et le paradigme d'une « uni-multidiversité d'éveil » lui permet d'ouvrir son centre à une multitude de dialogues, d'échanges et de partenariats divers, drainant une foule considérable, ce qui semble-t-il, agace certains et en rend d'autres envieux.
p. 263 et 264
Commenter  J’apprécie          30
Lama Denys, dont le nom a subi d'importantes modifications (de Denis Esseyric à Lama Denis Teundroup ; Lama Denys Teundroup ; Vajracharya Lama Denys, puis enfin, Lama Denys Rinpoché) est un acteur incontournable de l'occidentalisation du Vajrayana en France (mais aussi en Europe). Notons qu'il est le seul lama français à la tête d'une congrégation à porter le titre de Rinpoché. Ce titre a engendré bien des critiques et des plaisanteries de la part d'autres lamas Kagyü et de pratiquants de diverses lignées. Je cite : « Il s'est autoproclamé Rinpoché, après Vajracharya, pourquoi pas ! », « Son ego n'a pas de limites », « Ce mec est complètement dingue, il ferait un malheur aux U.S. ». Les critiques allant bon train, peu des détracteurs rencontrés avaient connaissance de l'origine de l'attribution de ce titre. Lorsque j'ai demandé au principal intéressé, lors d'un entretien dans son centre parisien, pourquoi il avait décidé de porter ce titre (soulignant par là que je savais déjà que personne ne le lui avait attribué), il y eut un léger silence et il m'a répondu tout d'abord que « Rinpoché n'est pas un titre mais un terme d'adresse, ce qui est différent », et que ce terme était traditionnellement utilisé au Tibet pour désigner les supérieurs des monastères. En tant que supérieur d'une congrégation, il m'indiqua qu'on lui a suggéré depuis un certain temps de porter ce terme. Il m'explique aussi qu'il existe d'autres lamas à Karma Ling, et que, pour pouvoir se différencier, il a décidé de porter ce « terme d'adresse ». Il souligne également en avoir averti Situ Rinpoché (régent Karma-Kagyü) qui ne s'y est pas opposé. Cependant, il insiste sur le fait qu'il est le seul responsable spirituel dans son organisation. Il n'a pas de « comptes à rendre » et il n'est pas « inféodé », selon ses propres termes, à l'autorité tibétaine.

Lors de ma première rencontre avec lui au Dharma Ling de Paris, son secrétaire, dans un courriel m'annonçant l'heure et la date du rendez-vous, m'a également demandé : « Merci aussi de bien vouloir m'indiquer - ou me répéter - votre université, niveau d'études, directeur et sujet de travail, avant demain* ». M'étant exécutée, l'entrevue avec Lama Denys s'est déroulée autour d'une tasse de thé ou nous avons d'abord parlé de mes pérégrinations en milieu bouddhiste français. Il me dit d'entrée et d'un ton amusé que j'avais certainement vu « de tout », notamment des « disneylands tibétains et bhoutanais ». Après notre entretien, il m'a invitée à monter dans son appartement privé (à l'étage) et m'a présenté certains ouvrages sur lesquels ses disciples travaillaient puis également une lettre de l'association « L'Acacia et le Lotus » (lettre de l'association de bouddhistes et de francs-maçons), objet d'une réunion à laquelle j'ai pu assister par la suite. Au cours de celle-ci, Lama Denys s'est montré intransigeant, à la fois moqueur et arrogant avec ses interlocuteurs...
------
* Courriel personnel. C'est la seule fois où on m'a demandé de décliner si formellement mon projet de recherche et son cadre universitaire afin de pouvoir m'entretenir avec un maître.
p. 259et 260
Commenter  J’apprécie          30
Les avis concernant la validité d'un tel principe en Occident sont divergents mais ils ne sont pas réductibles à l'adaptabilité aux valeurs des sociétés occidentales prônée par certains maîtres ; des maîtres occidentaux souhaitent l'adaptation totale du dharma au contexte occidental en maintenant ce système alors que d'autres, qui le critiquent fermement, le rejettent. Les lamas tibétains rencontrés souhaitent tous voir perpétuer ce système qu'ils considèrent fondamental dans leur tradition. Certains Européens sont plus réservés, parfois critiques, par rapport aux tülkou qu'ils pensent être une « déviation culturelle » alors que d'autres souhaitent, à l'instar des lamas tibétains rencontrés, le voir perdurer. On peut penser que certains maîtres occidentaux rejettent ce système parce qu'ils n'ont pas les clefs pour le contrôler, le légitimer et la capacité à reconnaître des tülkou. Les propos de deux lamas français, ceux d'un lama de Dhagpo Kagyu Ling et ceux de Lama Denys, illustrent bien ces différentes opinions.
« Le système des tülkou est important à préserver. Ce n'est pas quelque chose de culturel. C'est un système qui a été établi par des êtres éveillés et qui garantit l'authenticité de la transmission. C'est un point important. Deuxième point, c'est vrai qu'au Tibet, dès qu'il y a une structure, c'est comme ça, il y a eu des déviations, il y a eu des tulkous politiques. On est d'accord là-dessus. Il ne faut pas faire semblant non plus. » (DKL, 2004)
F. Lenoir a restitué dans sa thèse les propos du Lama Denys, propos qui manifestent le désir d'une prise de distance radicale avec la culture tibétaine. Il affirme que le système des tülkou est une création tibétaine liée à sa culture féodale :
« L'erreur habituelle est la déviation animiste qui consiste à percevoir une continuité individuelle dans la succession de tulkous. Ce n'est pas un enseignement bouddhiste, mais une déformation culturelle qui est néanmoins largement répandue en Orient et au Tibet. Elle est aussi entretenue pour nourrir la dévotion et la motivation des fidèles. Elle est aussi inconsciemment entretenue par les espoirs réincartionnistes de l'ego des pratiquants... » (Lenoir, 1999b : 378)
Cette dernière observation critique la déformation « culturelle » qui perçoit les tülkou comme des renaissances successives d'un même être. Il s'agit d'une prise de distance avec un certain héritage religieux tibétain. Les fidèles sont en grande majorité convaincus de la validité de ce système, même s'ils admettent qu'il a ses « perversités » et ses « manipulations ».
p. 237 et 238
Commenter  J’apprécie          30
Selon une idéologie et une rhétorique du karma qui vont être repensées, le chantier (travaux de jardinage, de construction, de décoration, de rénovation, etc.) va être perçu comme un moyen de purifier son karma en accumulant des mérites. J'ai pu, à plusieurs occasions, me rendre compte de cette acceptation de la contrainte (inhérente à toute institution hiérarchique), domination tant symbolique que réelle et sa formulation en aspects positifs — « je purifie mon karma » — par ceux qui la vivent. Cet asservissement (non systématisable) est caractéristique de la majorité des bénévoles que j'ai rencontrés dans les centres Kagyü. Le karma est utilisé pour légitimer les différents statuts, entraînant la pérennité des hiérarchies internes au sangha. Bourdieu écrivait que pour que « l'acte symbolique exerce, sans dépense d'énergie visible, cette sorte d'efficacité magique, il faut qu'un travail préalable, souvent invisible, et en tout cas oublié, refoulé, ait produit, chez ceux qui sont soumis à l'acte d'imposition, d'injonction, les dispositions nécessaires pour qu'ils aient le sentiment d'avoir à obéir sans se poser la question de l'obéissance ». Cette affirmation s'avère pertinente au regard de mes observations.
Le travail bénévole peut être remis en question et critiqué par des bouddhistes de longue date, qui en ont fait l'expérience. Certains se retrouvent dans des situations difficiles n'ayant pas eu d'activité(s) professionnelle(s) rémunérée(s) pendant de nombreuses années et n'ayant pas cotisé, faute de moyens, aux différentes caisses sociales d'assurance, certains s'étant écartés de leur entourage familial et amical à cause de leur engagement bouddhique (alors perçu comme un engagement sectaire). Parfois, ils ont été « instrumentalisés » et « manipulés » selon leurs propres termes. D'autres sont partis du centre car ils n'avaient pas d'autres choix. Dans la quatrième partie, il sera question d'analyser ces rapports d'assujettissement(s) « communautaire(s) » liés à la relation au lama (réelle, supposée ou projetée*) et à ce que je nomme « servitude volontaire » et relation de « vassal à suzerain » ; deux pôles opposés entre lesquels oscillent les relations de la plupart des maîtres et des disciples rencontrés.
----
*Plusieurs fidèles se disent disciples de tel ou tel maître alors que ce dernier n'a rien laissé supposer de tel.
p. 233
Commenter  J’apprécie          30
Lors d'occasions particulières, comme de la venue de maîtres importants, il est donné un badge à chaque personne et un contrôle est effectué avant l'entrée dans la salle d'enseignement. Même si la majorité des organisations précisent bien que l'argent n'est pas un obstacle et que, si une personne à des difficultés financières, elle est invitée à entrer en contact avec l'accueil du centre, tous ne tiennent pas leur engagement et j'ai rencontré quelques personnes qui n'ont pas pu accéder aux enseignements pour raison financière. J'ai moi-même eu des difficultés financières pour pouvoir participer aux enseignements de certains maîtres, les personnels administratifs n'étant pas toujours arrangeants. Certains m'ont accordé des facilités, d'autres non. Chaque centre a sa politique en matière de paiement, cela dépend des directives données par la (ou les) autorité(s) (maîtres) mais aussi du personnel administratif en poste auprès duquel il est possible ou non d'obtenir des réductions financières. On peut avoir ci-dessous une idée du coût de certains enseignements et retraites encadrés par des et occidentaux. Souvent, le maître qui enseigne requiert la participation complète à la retraite et aux enseignements. Quelquefois, si le centre n'a pas une capacité d'accueil suffisante, des salles, des châteaux et autres domaines sont loués et le prix du séjour augmente d'autant plus.
p. 223
Lors de tournées de dignitaires et hiérarques de diverses lignées, les prix peuvent devenir si élevés que certaines personnes ne peuvent même plus assister à l'enseignement de leur maître, qui, pour certains, vient rarement en France. Entre le prix de la nourriture, parfois excessif au regard de sa qualité et de sa quantité, le logement (souvent sommaire) et l'enseignement, le coût total du séjour s'avère particulièrement coûteux. De plus, il faut faire face aux sollicitations et appels aux dons lors de ces grands rassemblements.
p. 225
Commenter  J’apprécie          30
Dans l'ensemble, retenons qu'il existe une attribution spirituelle aux donations et à l'argent qui fait partie intégrante des stratégies de mobilisation des ressources, comme cela se passe (et se passait) dans les pays bouddhistes asiatiques. À ce titre, une certaine continuité est observable mais ce sont les modalités et les finalités de ses stratégies qui peuvent être modifiées. D'ailleurs l'importance des dons financiers et des bienfaiteurs est gratifiée par les « rituels de fortune » accomplis dans certains centres en leur faveur, communément appelés les « patrons du dharma ». Ces « rituels de fortune convoquent essentiellement les déités de richesse pour qu'elles procurent de la prospérité matérielle et toutes les réussites » à ces patrons, comme chez les Sakya de Phendé Rinpoché. On assiste alors à un paradoxe : d'une part, les enseignements dispensés par de nombreux maîtres tendent à poser une vision négative du samsara, d'une vie de famille et professionnelle ordinaire dont il faudrait s'extraire, alors même que ces maîtres et leurs organisations vivent et jouissent des apports financiers provenant de ces vies samsariques ordinaires, un paradoxe valable pour d'autres traditions bouddhistes, voire pour d'autres religions.
p. 218
Commenter  J’apprécie          30
Cette « énergie » des lamas (ceux qui ont une « véritable réalisation » pour Paule) est une énergie qui apparaît dans le discours des fidèles comme étant objective, tout au moins agissante et effective. Les lamas véhiculent les bénédictions des maîtres passés, et, comme le disait Lama Guendune lors d'un enseignement, c'est « l'esprit éveillé » qui passe en cet être (le maître), celui-ci étant le « catalyseur de la compréhension de la nature éveillée de l'esprit ». La transmission spirituelle (les bénédictions, le pouvoir spirituel, la grâce, l'esprit éveillé), dont sont porteurs les lamas du fait de l'appartenance à une lignée dite ininterrompue et qu'ils peuvent accorder à leur tour, peut rappeler, dans un contexte religieux et culturel tout autre — le contexte musulman —la baraka des saints marocains. En effet, les maîtres tibétains (mais aussi dans une certaine mesure certains Occidentaux) sont supposés détenir une sorte de baraka, analysée par C. Geertz comme une « électricité spirituelle », « un don de pouvoir plus que naturel que les hommes qui l'ont reçu peuvent employer de façon aussi naturelle que pragmatique », pour des buts personnels et mondains. La possession de cette baraka est capitale. Bertrand Hell la qualifie pour sa part d' « influx surnaturel synonyme de bénédiction, de force, de surabondance, de félicité. La baraka n'est pas qu'une référence abstraite, une grâce divine impalpable. Elle est pensée sous une forme matérielle : il s'agit d'un véritable fluide pouvant être mis en circulation, s'incarner dans les êtres ou les choses, irradier par contact physique et rester présente au sein de lignées par transmission patrilinéaire ». Il mentionne plus loin que la « baraka » est érigée en dogme au Maroc, et qu'elle était le pilier de l'institution politico-religieuse du pay. G. Samuel citait également la « baraka » des marabouts africains en observant des parallèles avec les lamas tibétains et leur rôle politique. Cette baraka, réelle ou supposée des maîtres tibétains (notamment) peut être entendue de différentes manières : comme un acte « magique », une influence spirituelle, une communion d'esprit à esprit et un « fluide » circulant à travers les différentes incarnations de maîtres (tülkou) censées détenir le potentiel de sagesse de leur prédécesseur.
p. 204
Commenter  J’apprécie          30
La transmission est liée à Lama Guendune, considéré comme le garant de la cohésion de la communauté. D'ailleurs, il n'y a pas d'enseignants et d'intervenants extérieurs, mis à part les Tibétains de la lignée qui viennent de manière épisodique. Le monastère n'a pas d'université ou de collège d'étude (pas de Khempo), et, alors que l'association pour les retraitants se nomme curieusement « Association en Hautes Études Tibétaines (AHET) », ni les stagiaires pratiquants ni les retraitants ne sont formés ou initiés aux études en tibétologie. Lors d'une conversation amicale, un lama (français) me dira : « On n'a pas besoin de Khempo, on n'a pas besoin de Tibétains non plus. Lama Guendune Rinpoché nous a tout donnés, notre rôle est de transmettre et de perpétuer son enseignement, rien de plus » (propos datant de 2004). Entre la volonté de se positionner comme les héritiers de la transmission de Lama Guendune, des désaccords et des conflits apparaissent au niveau des autorités tibétaines de la lignée, notamment avec le Shamarpa mais aussi avec Lama Jigméla*. Les conflits internes aux lignées témoignent ici de nouveaux paramètres : des Européens formés par Lama Guendune, qui dirigent le plus grand complexe monastique d'Europe, revendiquent sa transmission seule, ce qui pose problème aux hiérarques de la lignée qui exercent une autorité tentant de se raffermir d'année en année, en témoigne un nouveau programme pour les retraites de trois ans (désormais nommée « retraite de fondation ») sous l'autorité du Karmapa Thayé Dorjé.
----
*Désaccords qui portent sur la gestion interne du monastère, du centre de retraites, sur le statut de lama, des vœux, du port de la robe, des enseignements prodigués, de l'autorité, etc.
p. 273
Commenter  J’apprécie          20
Lama Guendune a vécu plus de vingt ans sur les lieux et son absence physique a été éprouvée de différentes manières. Les droupeuns encadrent désormais les retraites de trois ans qui continuent à recevoir de nombreux candidats. Alors que les deux premières générations de retraitants se sont vues accorder le titre de lama par Lama Guendune, sans forcément le vouloir ni le demander, les nouvelles générations doivent, en plus de leurs deux retraites, être suivies pendant une période probatoire de trois ans par leurs aînés et faire la demande du titre de lama au Conseil des Lamas, ce qui, incontestablement, prend plus de temps. Pour un lama-moine du Bost, c'était plus facile avant car il y avait Lama Guendune :
« C'était un très grand maître comme Saint François d 'Assise, avec une réalisation tellement grande. Il était avec nous pratiquement tous les jours, ce qui fait que l'on a eu des moments exceptionnels. Maintenant qu'il n'est plus là, ce n'est pas que ça a dégénéré mais ce n'est pas aussi profond je pense, pour les jeunes lamas. » (2004)
Parmi les droupeuns, Lama Y.N., est considéré comme l'un des plus proches de Lama Guendune. Traducteur et enseignant, il est le maître de nombreux disciples que j'ai rencontrés*. Parisien d'origine, né en 1952, il me raconte que c'est la perte de sa mère à un âge précoce qui l'amène à ressentir « un manque de sens profond à la vie ». S'intéressant au religieux et à la spiritualité, il aura toujours des difficultés à s'engager, « une réticence à franchir le pas ». Les documentaires d'A. Desjardins vont profondément le marquer. Établi dans le Sud de la France, il décide de faire le tour des centres bouddhistes (Montpellier, Aix). Une personne lui parle de Lama Guendune, il décide d'aller le voir et il est profondément touché par sa présence, ayant reconnu quelque chose d'inexprimable. Il sera fermement décidé à le suivre et deviendra par la suite son proche traducteur et son assistant. Il prend l'ordination monastique en 1982 et alors qu'il souhaite faire la première retraite de trois ans (1984), Lama Guendune lui demande de rester auprès de lui, ce qu'il fera, en commençant des travaux de traduction mais également d'enseignant. Il entreprend sa première retraite en 1987 qui sera suivie d'une seconde. À la fin cette dernière, son maître le nomme lama et droupeun, une grande responsabilité.
-----
* Depuis 2007, il a été destitué de son titre de lama et contraint de quitter le monastère suite à un épisode que nous aborderons succinctement dans la quatrième partie.
p. 270
Commenter  J’apprécie          20
La disparition de Lama Guendune en 1997 a modifié la structure du centre du Bost ; il n'est plus le maître, le guide, le seul référent. En même temps, une certaine continuité avec ses disciples considérés comme les plus proches, est apparue. Lama Guendune avait effectivement nommé de son vivant des maîtres de retraites (« droupeuns »), trois hommes et trois femmes, pour poursuivre la transmission du dharma. Lama Yéshé explique ce qu'est un droupeun : « Un droupeun est un maître de retraite, quelqu'un qui guide les retraitants dans leur pratique régulière. Il est aussi là pour transmettre les enseignements, les pratiques, les loungs (lectures rituelles des textes de pratique et des commentaires), les instructions. Il est détenteur des instructions orales ». Il précise que pour Lama Rinchen (femme) et lui, ils assument la tâche consistant « à redonner en retraite les initiations reçues du Maître Vajra : Guendune Rinpoché à l'origine, puis Shamar Rinpoché et maintenant le Gyalwa Karmapa ».

La mort du maître et la continuité de la transmission
Même si sa mort a pu entraîner des départs, il faut noter que les personnes qu'il a nommées pour continuer à préserver et transmettre son enseignement sont restées unies afin d'administrer ensemble la congrégation. Cette régence collégiale est cependant décrite par certains bouddhistes Kagyü comme une « oligarchie », les lamas ayant reçu de Lama Guendune des fonctions précises de transmission (notamment les droupeuns) n'ayant « jamais été nommés comme étant les dépositaires de son enseignement ». Parmi ces lamas, plusieurs se montrent particulièrement distants et décidés à ne pas se laisser guider par les Tibétains dont ils dépendent au niveau hiérarchique ; leur maître étant décédé, ils se considèrent comme seuls aptes à gérer et transmettre son enseignement.
p. 269
Commenter  J’apprécie          20
« Moi, de voir qu'il y a des tulkous européens parce que j'ai appris ça, c'est une porte qui s'est ouverte. Le dharma, c'est pour les autres. La forme que prend le dharma, c'est fonction des êtres qui sont en lien avec. S'il faut que les tulkous soient noirs, des piercings dans le nez et une crête sur la tête, si c'est juste à ce moment-là, ça se fera comme ça. » (Dordogne, 2004)
Le jeune moine souligne l'authenticité du phénomène et son bien-fondé, ses origines et ses développements ne sont pas questionnés. Pour lui, c'est une chance de savoir qu'il existe des tülkou occidentaux car le dharma s'adapte à son auditoire. Kalou Rinpoché, qui avait laissé présager qu'il se réincarnerait dans le corps d'un occidental n'a pas laissé d'instructions précises concernant sa renaissance. Celle-ci a été retrouvée chez le fils de son neveu et secrétaire Lama Gyaltsen. Reconnu par le Dalaï-Lama et Taï Sitou Rinpoché, le jeune Yangsi Kalou est né le 17 septembre 1990 alors que son prédécesseur est décédé le 10 mai 1989. Bokar Rinpoché, fidèle disciple et successeur de Kalou Rinpoché relate la naissance du « Yangsi Kalou », la renaissance de Kalou Rinpoché :
« Sa naissance se fit sans aucune douleur pour la mère. Dès ce moment, certains bienfaiteurs fidèles de l'incarnation précédente éprouvèrent une joie et un bien-être physique inhabituel à la simple vue du visage de l'enfant. Son monastère de Sonada se trouva recouvert d'un dais d'arc-en-ciel et se produisirent de nombreux signes positifs, significatifs et merveilleux. Aussi, un grand nombre de personnes sur place et ailleurs, laissèrent-elles entendre que la sublime incarnation de leur maître avait repris naissance. »
On remarque ici que les critères de sélection obéissent à des logiques familiales et politico-économiques, qui, même si elles n'ont pas les mêmes fonctions qu'auparavant, maintiennent les mêmes logiques. Des manipulations apparaissent pour servir les détenteurs de ce système. Cependant une autre modalité rentre en compte : le danger de voir une lignée tibétaine dirigée par un Occidental. Une concurrence est alors palpable entre d'une part les maîtres tibétains qui veulent conserver leur prééminence sur leur tradition et des maîtres occidentaux qui souhaitent prendre de plus en plus d'indépendance par rapport à la hiérarchie tibétaine. Voyons d'abord quelles sont les conditions et quels sont les enjeux qui caractérisent la présence de tülkou occidentaux.
p. 238 et 239
Commenter  J’apprécie          20
Chapitre 6
Les maîtres : Tibétains et Occidentaux



Les écarts économiques entre la vie en Inde et en Occident sont tels que de(s) « nouveaux » maîtres, notamment de(s) jeunes tülkou (reconnus ou non par la hiérarchie tibétaine) saisissent l'opportunité d'enseigner à l'Ouest pour y trouver des fonds leur permettront de vivre convenablement en Asie. D'autres viennent en Occident (en France par exemple) pour enseigner, soit parce qu'ils y ont de la famille déjà établie (par exemple, les neveux d'un maître implanté en France), des amis proches ou parce qu'ils y ont été envoyés par leur hiérarchie. Les procédés d'« opportunisme » ne sont pas rares, le Dalaï-Lama lui-même a critiqué ces tülkou et Rinpoché en Occident qui n'étaient souvent que de simples moines en Inde. Dans une interview avec M. Brauen, le pontife critique les lignées de réincarnations qui se sont formées depuis l'exil, soulignant qu'elles sont bien trop nombreuses. Il déplore également qu'« il est souvent possible quand on a de l'argent — assez d'argent — de se faire reconnaître comme tülku par un monastère. C'est presque comme si on pouvait acheter la [position d'un tulku] ». Il faut noter que les maîtres et enseignants bouddhistes (par exemple les guéshe) ont un salaire nettement plus élevé en Occident que dans leur monastère en Inde, d'où leurs fréquents voyages. Les écarts économiques sont un enjeu et une cause de l'augmentation de tülkou et de lamas natifs d'Inde, du Bhoutan ou du Népal dans les pays occidentaux.

Des maîtres tels que Lama Denys, mais aussi quelques Tibétains, prônent une acculturation accrue, souhaitant se débarrasser du côté culturel tibétain qui n'a selon eux aucun intérêt. Ils affirment que le dharma n'est pas plus tibétain que français puisqu'il est universel alors même que les enseignements qu'ils prodiguent et les orientations qu'ils donnent à leurs diverses activités peuvent paradoxalement détenir la marque d'une influence culturelle tibétaine.
Le système des tülkou constitue une base de propagation et de légitimité du pouvoir des maîtres qui concentrent les ressources matérielles et symboliques. P. Bishop souligne : « The lamas actually embody the paradox. The searches for new infant incarnations are, above ail, ritual confirmations of the power of renewal. Tibetan Buddhism provides this myth of continuity and renewal with a massive architecture. It protects, routinizes and systematizes it. » En tant que système politico-économique et religieux que seuls ils contrôlent, tous cependant ne le considèrent pas comme un élément essentiel à retenir, surtout chez les maîtres européens où les avis sont divergents.
p. 235 et 236
Commenter  J’apprécie          20
II. LA RHETORIQUE DU DON MERITOIRE
Plusieurs maîtres sont à la tête d'une ou plusieurs organisations sur le sol français et à l'étranger et ont recours à la générosité pour subvenir aux besoins de leurs organisations, créer des nouveaux centres mais aussi financer des projets plus personnels et financer leurs diverses organisations occidentales mais aussi en Inde, au Népal, au Bhoutan et au Tibet. Un centre fonctionne essentiellement grâce à la générosité des donateurs, à l'adhésion de ses membres, aux ressources que lui rapportent les enseignements dispensés (pour la plupart payants), à leurs activités commerciales (ventes directes en boutique ou en ligne) et à la cotisation de leurs membres. Les maîtres reçoivent également des offrandes qui peuvent correspondre à des sommes d'argents importantes.
p. 211
Commenter  J’apprécie          20
Dans un entretien avec le Shamarpa sur le site de Dhagpo Kagyu Ling, ce dernier, qui raconte l'histoire du centre périgourdin, souligne :
« Cette région est belle du point de vue des paysages, mais il est important qu'elle le soit aussi en essence ; elle doit s'enrichir d'une beauté spirituelle et humaine, pas seulement naturelle ».
Plus loin, il explique le rôle des KTT, antennes régionales liées au centre mère.
« Les KTT sont comme les fils d'une trame tissée par le Gyalwa Karmapa autour du monde. et que je m'efforce d'élargir. Cet ensemble comprend des centres dans le monde entier, en Europe, en Amérique, en Asie et en Australie. [...] La tâche des Karma Teksoum Tcheuling est essentielle pour permettre l'accomplissement du souhait de Karmapa d'apporter le dharma au plus grand nombre d'êtres. L'énergie déployée par les membres de ces centres locaux est ce qui donnera son sens au projet que représente Dhagpo Kagyu Ling et qui rendra possible la concrétisation du vaste dessein du Gyalwa Karmapa. C'est pourquoi je requiers ici, de vous tous, d'apporter encore plus d'énergie et d'efforts à l'accomplissement de ce dessein. Cela sera d'un grand bienfait pour tous ceux qui vivent dans ce pays. » (www.dhagpo-kagyu.org)
Le dharma est présenté comme supérieur à la beauté naturelle d'un site qui doit lui permettre d'obtenir une beauté spirituelle et humaine, ce qui laisse supposer que celle-ci en était auparavant dépourvue. Répondant aux vœux du Karmapa et à son souhait de propager le dharma (« apporter le dharma »), le Shamarpa demande la participation de chacun pour œuvrer à ce projet devenu commun car « source de bienfait » pour ceux qui le rencontreront. Ici, le caractère missionnaire est nié puisqu'il est considéré comme une chance (à la fois sur le plan humain et spirituel) d'accéder au dharma et que participer à sa diffusion est considéré comme profitable.
Plus généralement, les maîtres et leurs disciples ont une forte tendance à exprimer (et affirmer) des faits et discours qui, au regard de l'observation empirique, se révèlent autres, tout du moins contrastent largement avec les discours. Bourdieu notait : « le langage religieux fonctionne en permanence comme instrument d'euphémisation », avec une « ambiguisation des pratiques et des discours, du double sens sans double jeu* ». Il soulignait : « Pour pouvoir faire ce que l'on fait en (se) faisant croire qu'on ne le fait pas, il faut (se) dire que l'on fait autre chose que ce que l'on fait, il faut le faire en (se) disant qu'on ne le fait pas, comme si on ne le faisait pas ». Cette particularité, qui selon Bourdieu serait propre au langage religieux, est revenue continuellement, de manière parfois caricaturale notamment lorsque je m'en référais aux aspects économiques d'un centre.
-----
*Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Seuil, Paris, 1994, p. 209.
p. 210
Commenter  J’apprécie          20
Les déplacements des hiérarques et autres maîtres dans des lieux où ils disposent d'un sangha organisée mais aussi dans le cadre de conférences ou d'enseignements publics, sont des « marqueurs symboliques » du pouvoir, et, en même temps, ils peuvent servir pour séduire de potentiels fidèles et augmenter par-là leur audience et leur influence. Ils sont synonymes d'une mission, caractérisée par la volonté de « propager le dharma » afin de l'apporter au plus grand nombre. Pour L. Obadia, c'est à une action « pastorale » à laquelle se livrent les moines (lamas) tibétains.
Désormais, une concurrence pour le monopole des biens de salut est observable, il faut dire que le nombre de maîtres présents en France ou venant y enseigner s'est décuplé. Les voyages aux quatre coins du monde des maîtres diffèrent nettement des voyages tels qu'ils se pratiquaient au Tibet et plus largement dans toute l'aire d'influence tibétaine. Désormais, les moyens modernes de déplacement leur permettent de visiter les nombreux centres du dharma qu'ils ont créé de par le monde et de rencontrer des sangha internationales. Aujourd'hui, un lama peut se rendre et enseigner sur plusieurs continents différents en quelques semaines. Des tournées mondiales ou européennes sont organisées, comme celle du Karmapa Trinlay Thayé Dorjé en 2004, qui l'a amené dans plus d'une dizaine de pays. Entre le mois de février et le mois d'août 2007, le chef de l'école Drikung-Kagyü, le Gyalwang Drukpa s'est rendu au Népal, en Chine, en Indonésie, en Inde, au Pérou, au Mexique et en Amérique du Nord. Le transport aérien, mais plus encore, les moyens techniques et matériels en général permettent une diffusion et un développement rapides des organisations bouddhistes tibétaines transnationales grâce à la présence du maître. Ces moyens techniques sont des supports précieux. A. Leroi-Gourhan a démontré de manière magistrale comment la technique influence le social, comment le matériel influence la vie des hommes.
Même si le maître n'est pas présent physiquement, il l'est tout de même, grâce à l'internet qui permet aux fidèles de recevoir les instructions et les transmissions à travers un écran*, parfois en direct lorsque leur lama enseigne à des milliers de kilomètres. Le lien entre le maître et la communauté doit être constant pour que celle-ci garde sa cohésion interne. Cela ne nécessite pas forcément la présence physique du maître ; il peut avoir délégué d'autres maîtres comme résidents, certains peuvent y venir enseigner régulièrement ou ponctuellement et d'autres ont pu être formés sur place. Le besoin de la présence physique du maître est variable chez les fidèles. Elle est plus accentuée (de fait) dans les centres où le maître réside.
La ferveur avec laquelle certains maîtres déploient leur activité, tant au niveau mondial qu'au niveau local, renvoie encore une fois aux actions prosélytes qui sont constamment déniées en tant que telles. Les lamas n'auraient donc pas recours au prosélytisme, connoté péjorativement car renvoyant aux missions chrétiennes, mais plutôt aux moyens habiles (upaya), pour le bien de tous les êtres. Les tournées mondiales, souvent décrites par plusieurs bouddhistes comme des « tournées dignes d'une rock-star » mobilisant des foules de dévots, doivent être perçues comme une chance unique de pouvoir rencontrer un maître de sagesse ou encore comme un « événement qui représente une précieuse opportunité de rentrer en contact avec la sagesse du bouddhisme tibétaine ». A plusieurs occasions, lors d'un passage en France d'un hiérarque important ou d'un maître ne foulant pas souvent le sol français, des fidèles me presseront d'aller l'écouter : « Il faut vraiment que tu le vois, tu ne peux pas louper ça » ; « Fais tout pour le rencontrer, c'est une bombe ! », « Si tu arrives à avoir un entretien avec lui, tu verras ce que c'est qu'un bouddha ».
---
*Dans de nombreux cas, on peut accéder à des vidéos en ligne, parfois payantes. Des transmissions de pouvoir ont été réalisées par l'intermédiaire d'internet par Kyabjé Trulshik Rinpoché. On peut parler de « cyber-lama ».
p. 208 et 209
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Cécile Campergue (2)Voir plus

Quiz Voir plus

Nourriture et littérature chez les classiques

Qui est l'auteur des "Nourritures terrestres" ?

Sophocle
Virgile
André Gide
J.M.G. Le Clézio

10 questions
709 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , nourriture , classiqueCréer un quiz sur cet auteur

{* *}