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Citations de Cédric Ronnoc (4)


Ce dont il était certain est qu'il aspirait, encore aujourd’hui, à la rencontre amoureuse. Certes, il y avait toujours eu des soirs où, éreinté par ses pulsions primaires, elle s’était vue reléguée au second plan : il s'agissait de ces nuits où la pulsion sexuelle était si forte qu'elle occultait la cause qu'elle était censée servir et devenait sa propre fin. Le problème est que ces soirs s'étaient fait plus nombreux avec le temps, sans que ce comportement ne soit, à chaque fois, motivé par l'urgence de ses besoins sexuels. Au fil des années, sa quête initiale s'était, ainsi, faite de plus en plus discrète. Il n'y avait qu'à voir le contraste toujours plus flagrant entre ses rêveries sur le chemin du sex-club et son attitude dès la porte de l'établissement franchie. Le plus souvent elle ne s'y manifestait que de manière aussi rare que brève. Et, quand elle parvenait à garder le dessus, ce n'était jamais autrement que laborieusement.

S’il gardait toujours en lui un frêle espoir de trouver l’amour, il faut bien reconnaitre que ce n’était plus l’objectif qu’il poursuivait à chacune de ses sorties, ni même à aucun autre moment de sa vie. De graal absolu, sa quête première s’était vu déclassée au rang de simple vœu, d’un vœu définitivement pieux, parce que privé de toute forme d’ambition, quand elle n’était pas cet hypocrite prétexte destiné à légitimer ces quelques minutes de plaisir bon marché, devenues maintenant le but véritable et non assumé de ses virées nocturnes.

Il n'y avait pas eu de basculement brutal, mais plutôt un glissement lent et progressif, quasiment indolore et inodore, que son isolement, par l'absence de regard extérieur qui l'accompagne, ne lui avait pas permis de détecter. Cette évolution s'était, en effet, faite par touches successives, anesthésiant pas à pas chacun de ses réflexes de survie avec d'autant plus d'efficacité que sa démarche était complexe. Quant aux paramètres de son équation de départ, si leurs interactions s’étaient inversées, ils demeuraient parfaitement identiques, de sorte que le paysage dans lequel il évoluait, bien que profondément ravagé, lui apparaissait à jamais familier. Autant d'éléments qui expliquent, alors, qu'il n'ait pas su distinguer le bouleversement qui était silencieusement à l’œuvre en lui.
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Pour le reste, je dois avouer que je ne recherche rien d’autre. Le temps est maintenant loin où je m’y rendais pour trouver le grand amour. Oui, le grand amour, l’âme sœur, le prince charmant, peu importe le mot que l’on emploiera. De l’amour dans un lieu où l’on ne sait même pas avec qui l’on baise parfois. Cela peut surprendre. Mais, cela fut longtemps mon unique motivation pour m’y rendre. La seule raison d’être de mes sorties.

C’est étrange, c’est vrai. Le lieu s’y prête mal. Tout le monde en conviendra. Puisqu’on n’y va que pour baiser. Et en plus baiser dans des conditions industrielles. Sans échanger un mot ou connaître le prénom de son partenaire. Parfois, sans avoir vu son visage. Plusieurs fois dans la soirée. Avec des partenaires différents. Plusieurs à la fois. A la vue de tous. Et, sans que les choses aillent plus loin une fois l’ouvrage achevé. Tout au plus un sourire ou une « bonne soirée ». Et encore.

Qu’est-ce qui a donc bien pu me passer par la tête lorsque j’ai décidé d’en faire le théâtre de mon ambition amoureuse ? Trouver le grand amour dans une backroom, faut vraiment être con. Se mentir à soi-même. Se bercer d’illusions.

20 ans. 20 ans, c’est le nombre d’années qu’il m’aura fallu pour comprendre les choses. Comprendre la logique qu’il y avait derrière ce choix inconscient. Pourquoi ce lieu et pas un autre. Pourquoi il était le seul où je pensais pouvoir faire cette rencontre. Le seul où je me sentais à même d’entrer en contact avec les autres.

(Chapitre 5 : Se méprendre)
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Cette singularité, qu’il résumait trivialement en disant éprouver plus de difficultés à entamer une conversation qu’à s’incliner, reposait sur une conception bien particulière, presque politique, de l’intime. Pour lui, l'intime, ce n'était pas la chair, mais l’âme ; ce n'était pas le corps, mais l’être. Dès lors, le rapport à l’autre ne posait véritablement de problème que lorsque l’attention dont il était l’objet se portait non sur son enveloppe charnelle, mais sur sa personne même. Il y avait, là, un parti pris que Nicolas appréhendait tel un scientifique décide d’un postulat pour, ensuite, en tirer des conséquences de pure logique. Dans son cas, cependant, aucun élément ne venait tempérer les excès de cette entreprise de déduction. Il occultait, ainsi, certaines évidences, dont celles qui veulent que l'on n'est pas obligé de tout révéler quand l'on discute avec le client d'un bar et que, lorsque l'on couche avec quelqu'un, il y a forcément quelque chose de l’ordre de l’intime qui se trouve affecté. Outre le caractère bien trop absolutiste de ses conclusions, Nicolas dissociait trop brutalement le corps et l’être, oubliant que l'un et l'autre, bien que distincts, s’entremêlent à l'infini, qu'il y toujours quelque chose de cérébral dans le bestial, de physique dans le psychologique et que l’intime n’est pas l’apanage de l’un ou de l’autre, mais se situe aux plus secrets de leurs embranchements.

(...)

Comment aurait-il pu en être autrement ? En scindant sa personne entre un corps à qui tout était permis et un être condamné au silence, il ne proposait rien d’autre qu’une enveloppe charnelle dépouillée de toute saveur, sans la moindre force vitale permettant de lui donner une âme. Ce corps chosifié, sans vie, comme le sont les branches d'un arbre arrachées à leur tronc, qui n’avait même pas le piquant du libertinage, personne n'en voulait. Personne ne s'attache jamais à ce qui est mort. Tout au plus, pouvait-il espérer être utilisé comme un objet dont on s’accommode quelques minutes pour satisfaire, quand l'on n'a pas trouvé mieux, des besoins trop pressants, de sorte que ses relations s’apparentaient à un troc entre une poupée gonflable et un sex toy, autrement dit à des relations commerciales non tarifées, quand ce n'était pas de la mendicité.

Quant au lieu censé accueillir la rencontre rêvée, s’il faisait sens au regard de sa démarche, il était des plus improbables. Il y était rarement question de sentiments ou tout simplement de bavardage. Et, même quand les circonstances l’en rapprochaient, il y manquait, de toute façon, un ingrédient essentiel : le temps. Comme il avait pu le constater, les participants à ces soirées ne prenaient guère la peine de se connaitre. Même le prénom du partenaire d'un soir restait, la plupart du temps, inconnu. Il n'y avait que deux choses pour lesquelles ceux-ci acceptaient de perdre quelques secondes : la qualité de la marchandise et la compatibilité érotique. Dès lors, comment une relation dont la première exigence est celle de la patience pouvait-elle naitre dans un lieu caractérisé par le règne de l’urgence ? Comment ce théâtre de l’ostensible pouvait-il faire éclore des rencontres dont la raison d’être repose au contraire sur ce qui ne se voit pas ? Il ne surprendra, alors, personne d’apprendre qu’il n’était jamais rien arrivé d’essentiel à Nicolas lors de ces soirées. Certes, il avait quelques fois entamé un brin de conversation, mais cela n'avait jamais débouché sur quoi que ce soit, comme si le lieu, de lui-même, annihilait toute idée de lendemain.
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Lorsqu’il était parvenu à manifester de manière suffisamment appuyée son intérêt à l’intéressé et que celui-ci l’avait avalisé, tous deux ne se retiraient pas forcément immédiatement dans une cabine. Il arrivait, de temps à autres, que l’objet de ses désirs rejoigne le fameux labyrinthe situé au milieu du backroom après lui avoir adressé un rapide signe. Lors de ses premières fois dans le sex-club, Nicolas, peu connaisseur des coutumes qui y avaient cours, n'avait pas su interpréter ce comportement et avait systématiquement laissé passer ces occasions. Il pensait qu’il s’agissait, là, d’une invitation à le suivre pour y accomplir dans la pénombre, mais à la vue de tous, leur petite affaire, ce qu’il n’était pas, par peur que des clients opportunistes ne profitent de l’occasion pour se joindre à eux, encore prêt à faire. Avec le temps, il avait, cependant, appris qu’il ne s’agissait, le plus souvent, que d’un préalable indispensable destiné à confirmer leur attirance et à tester leur compatibilité érotique.

Mais, même une fois cela compris, Nicolas mis de longues soirées à saisir la perche qui lui était, ainsi, tendue. Et, lorsqu’il fut enfin devenu un vieux routier du backroom, maitrisant l’art de tenir éloigné de lui les personnes indésirables, il ne s’y risquait jamais sans être assailli par ses éternelles angoisses : le signe envoyé lui était-il destiné ? n'allait-il pas se tromper de personne ? n'allait-il pas se faire doubler ? serait-il suffisamment entreprenant pour lui donner envie d’aller plus loin ? Ces longues nuits en ce lieu lui avaient, pourtant, prouvé qu'il n'était pas dénué de répartie : une fois le contact noué, il parvenait, en effet, plus souvent que l’on ne pourrait le penser et sans qu'un seul mot ne soit échangé, à sentir si l'affinité était suffisante et se surprenait, alors, à prendre l'initiative de guider simplement par les gestes son partenaire vers une cabine.

Qu'il faille ou non en passer par cette étape intermédiaire, les manœuvres d'approche de son premier choix ne s'avéraient, cependant, pas toujours fructueuses. Il lui fallait, alors, se rabattre sur le second, voire le troisième candidat sélectionné, ce qui donnait un coup certain à son ego.

La suite des évènements était, sitôt l'accord tacite conclu, toujours la même. Sans même avoir échangé un mot et sans même connaitre le prénom de l'autre, Nicolas et l'intéressé partaient à la recherche d'une cabine. Les choses n’étaient pas acquises pour autant. Il leurs fallait d'abord atteindre la cabine. Or, sur le chemin qui y menait, leur arrangement pouvait encore être remis en cause si son compagnon du soir devait l’abandonner pour avoir, en cours de route, trouvé mieux. C’était relativement rare, mais lorsque cela arrivait il ne pouvait s’empêcher de penser à cet éternel possible piétiné avant d’avoir pu naitre. Les choses étaient différentes si c’est lui qui entrevoyait un partenaire plus intéressant. En pareille hypothèse, il ne pouvait que regretter de ne pas avoir été plus patient, à moins de se risquer à provoquer un clash, ce qu’il ne se hasardait, par politesse ou manque de tempérament, jamais à faire. Et oui, c'est parfois bien malgré lui que Nicolas offrait à autrui une partie de son intimité.

Une fois la cabine trouvée et la porte fermée à clefs, il était rare que les choses n'aillent pas jusqu'au bout. C’est à ce moment précis que se rappelait à lui l'objectif initial de la soirée. Tel une femme de footballeur, même si dans son cas il n’y avait aucune arrière-pensée pécuniaire, il mettait tout en œuvre pour satisfaire au mieux son partenaire, son plaisir personnel passant au second plan. Derrière cela, point d’orgueil. Il ne s’agissait que de la simple volonté, cette fois-ci assumée, de tout faire, à l'aide des seules qualités dont il se sentait doté ou qu'il s'autorisait à utiliser, pour faire bonne impression et lui donner l'envie de se revoir. Comme l’on peut s’y attendre, cela ne débouchait jamais sur rien, même pas sur un plan régulier, mais c'était, là, chose plus facile que des mots.
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