Célia Hédoné

Mon cœur bat à tout rompre, ça va bientôt commencer et je ne suis pas sûre d’être prête pour ça. Mon souffle devient plus fort et saccadé à cause de l’appréhension, j’ai l’impression que mon corps entier tremble de peur et je ferme les yeux pour essayer de me calmer. Marc me rejoint avec ses cordes qu’il dépose autour de moi et se rend compte que j’angoisse plus que de raison. Il prend le temps de me serrer dans ses bras, embrasse mon cou avec douceur avant de me chuchoter que je suis parfaite et qu’il ne faut pas que je m’inquiète. Il me rassure de sa présence et me rappelle que je n’ai qu’à me laisser guider et que tout se passera bien. Son étreinte m’apaise bien que la crainte soit toujours présente, je ferme les yeux pour me concentrer et essaye de m’immerger dans un autre monde.

C’est officiel : je ne peux clairement pas blairer cette fille ! Je les regarde se disperser dans la salle pour adapter leurs mouvements, suivant avec beaucoup d’intérêt le petit duo de Paul. Je vois rouge quand la pouffiasse se trémousse en remuant son cul contre lui, alors qu’il la repousse en lui disant non de la tête. Elle essaie un autre mouvement lui mettant cette fois-ci sa poitrine en pleine face. Je lève les yeux au ciel et décide de regarder ailleurs avant d’aller calmer Blondie moi-même. Évitons de faire un scandale… Si elle croit vraiment que c’est le meilleur moyen pour choper mon coloc, elle se met le doigt dans l’œil. Mon Paulo préfère les filles discrètes, pas les bimbos qui se montrent un peu trop.

C’est nos derniers instants seuls, nos derniers instants de partage, d’intimité et de profonde connexion avant de revenir au vernissage et à nos spectateurs. De nous retrouver à nouveau entourés de parfaits inconnus, du moins pour moi. Pourtant, nous agissons comme s’il n’y avait que nous dans la pièce, et que personne ne pouvait nous voir.

Je sens à nouveau la force de ce lien indestructible, celui du modèle et de l’artiste complice, celui du dominant et de sa soumise reconnaissante pour tout ce qu’il lui donne.

J’ai beau porter un masque, il ne me protège pas de cette lumière. Le temps que je m’habitue, je me rends compte que je ne vois rien de ce qui se passe autour de moi. Tout ce qui n’est pas éclairé par le projecteur n’est qu’une part d’ombre, et je ne peux voir que mon maître à mes côtés. Je me sens rassurée et j’ai réellement l’impression que nous sommes seuls dans cette pièce cette fois-ci. Je l’observe du coin de l’œil, ne voulant pas bouger d’un poil de ma position et il prend la première corde pour m’attacher.

Les gens s’entassent et se poussent comme des fous pour être à l’heure au boulot, ou à l’école pour les plus jeunes. Les mamans tirent des poussettes de bébés braillards et tiennent par la main des petits encore en train de manger leur pain du matin, leurs cartables à l’effigie de leurs héros préférés sur les épaules. Les têtes renfrognées des gens « heureux » de retourner au travail ne m’avaient pas vraiment manqué, et les têtes ensuquées des ados blasés en route vers le lycée non plus.

Je calme mes pensées saugrenues et retourne à mes moutons. Paul n’est pas à moi c’est clair, et je serais ravie qu’il trouve quelqu’un qui lui corresponde, et qui l’aime en retour. Bref, pas quelqu’un comme moi… Mais elle, cette Blondie, sa tête ne me revient pas du tout. Je la sens fausse, et je ne veux pas qu’on fasse du mal à mon meilleur ami. Puis on a déjà assez d’une blonde dans le groupe pour ne pas en rajouter une deuxième !

Je l’observe s’éloigner de moi et retourner vers ses cordes, passant un doigt sur sa bouche humectée. Je me mords la lèvre inférieure d’envie, et je parie sur l’expression que doit afficher mon visage, même si je présume que tout mon corps doit irradier de désir. Il me fixe d’un air satisfait et je le hais de s’amuser ainsi avec moi.

Une fois de plus, mon dominant a rallumé le désir qui sommeille en moi, l’a attisé pour le laisser brûler en son absence et s’éteindre petit à petit comme un feu de cheminée non entretenu. C’est une douce torture qu’il aime m’infliger hors de nos séances.

Il n’y a pas de souffrance plus atroce que celle d’aimer une femme qui vous donne son corps et qui pourtant est incapable de livrer son être véritable
- parce qu’elle ne sait pas où le trouver.

Lawrence DURRELL

Je frissonne d’impatience et d’excitation à la première posture qui me sera imposée, il me tarde d’être en suspension dans les airs et de me perdre là où personne ne peut m’atteindre.