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Citation de josefalange


Arrivée au cœur du Delta,
dans la province de Tiền Giang,
j’ai découvert My Tho,
un coin perdu dans la forêt où les touristes ne vont pas.

Parfait pour ma rédemption.

Les jours passent dans ce décor intemporel et,
chaque matin,
penchée sur le bord du fleuve,
j’ôte l’un de mes vêtements pour l’offrir aux flots.
L’idée est de finir nue.

Avec le propriétaire de la guesthouse où je dors,
je pêche le poisson et le cuisine dans des poêles énormes.
J’apprends à scalper, décapiter, éviscérer.
Je suis une enfant de la Terre informée,
responsable de mes actes,
et de nouveau je mange du poulet.
Les animaux de la ferme sont maigres,
comme les femmes qui secouent les tissus
sur les galets gris
des rivières d’Asie,
cependant,
on trouve toujours des morceaux de chair
à se mettre sous la dent.
Ça craque.
Parfois j’avale des plumes et des petits os.
Ce n’est pas grave.
Plus rien n’est grave.
Désormais mon ventre résiste à tout.

Un matin,
je donne au Mékong ma dernière robe.
Je l’observe un instant dériver à la surface
comme les mines dérivent sous la terre
ramollie par la saison des pluies,
et je me demande ce qui va mourir, ce qui va survivre.
Est-ce cette fille de vingt-huit ans,
aux yeux sans couleur,
avec la rage aux joues ?
Ou cette femme nouvelle,
à la silhouette nettoyée,
qui tend des bras de bambous en direction du fleuve,
ce fleuve qui charrie depuis Lasagongma,
sur le mont Guozongmucha,
en Chine,
des milliards d’alluvions,
d’enfances avortées
et,
aussi,
le rire à jamais éteint de cette voisine de quatorze ans.

Où vit-elle ?
Où vit la Chinoise ?
Près du Mékong , elle aussi ?
Je veux le croire.
À sa source comme à son estuaire,
toutes les deux nous le contemplons.
La masse d’eau brune s’écoule
comme le flux menstruel des femmes,
ces règles que j’ai de nouveau,
ces règles que j’aurai encore longtemps,
ces règles qui ne te nourriront pas,
petit être,
mais ces règles qui,
avec un peu de patience,
finiront par se confondre avec d’autres liquides,
celui de la mousson sur la terre,
celui des hommes qui perdent une jambe
et des femmes qu’on lapide,
celui de l’Afghane que je ne suis pas,
celui du canal Thầy Tiêu,
à Saigon,
et celui de cette frontière par laquelle la guerre n’est jamais finie.

Car les frontières,
souvenez-vous,
ne sont pas toujours des lignes tracées sur les cartes.
Parfois elles sont des pleurs,
des claques,
des choix,
et d’autres fois elles sont des bouches qu’on embrasse.
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