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Citations de Charlotte Monégier (19)


Nous laisserons au port
Nos peaux trempées d’eau de mer
Nos peaux gonflées de larmes
Et nos peaux de méduses.
Nous laisserons
Flotter sous les bateaux
Les coques molles et les épaves
Tout ce qui use
Tout ce qui rage
Les vagues hautes, les amarres
Ce que nos corps ont éprouvé.

Sur l’île,

Nous oublierons les subterfuges
Les tentations, les abandons
Tous les apparats des marées descendantes
Pour enfin trouver refuge
Sur la roche nue.

Contours aqueux, épais, drus.

Frotter nos cœurs aux parois difficiles
Jusqu’à les rendre purs.

Devenir la terre
Devenir le feu.

S’habiller d’absence, d’incandescence.

Et puis le soir nous compterons
Les étoiles dans nos yeux.
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Yann aimait les aubes et les crépuscules, ce franchissement délicat des lumières aux heures bleues de la vie. Il disposait des bougies partout dans sa case, il n’avait pas l’électricité. Il se douchait au seau d’eau, caché derrière le vieux banyan, celui qui clôturait son jardin pour ouvrir sur le mien. Yann marchait pieds nus, ses mains étaient énormes. Elles agrippaient des noix de coco, des papayes et des mangues tombées mûres dans les rues de La Saline. Il me les offrait. Je m’en nourrissais. Yann avait prise sur tout.
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Le Père et Arthur sont loin devant. Lorsqu’ils atteignent le marchand de glaces, ils te demandent ce que tu veux. Tu réponds en criant : « Je n’ai pas faim ! ». Mais tu ne sais pas si c’est toi qui as parlé. Le Père loue trois petits bateaux qu’il s’applique à faire voguer sur les eaux calmes du bassin, juste à côté de la Place de la Concorde.

La concorde, voilà une jolie notion en laquelle tu pourrais croire à nouveau ; d’ailleurs tout le monde pourrait y croire, un père et ses deux enfants, des glaces et des bateaux, dans un charmant jardin parisien, avec des rayons crus et clairs qui caressent les blondes chevelures. Un instant, un instant seulement, tu penses encore comme une enfant : Alors ce serait possible de tout oublier et de faire comme avant ? S’enfermer éternellement dans ce moment, comme si Le Père n’aimait pas le whiskey, comme s’il rentrait chaque soir à l’heure convenue, comme si Maman ne faisait pas semblant, comme si plein d’autres choses ? Tu cours vers lui, Le Père, et attrapes le bateau qu’il te tend.

Vous échangez un sourire.
Ce sera le tout dernier de votre vie.
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Cette chanson sera celle de ton enfance et puis celle de ta chute.

Déjà, elle te rappelle les vacances en Normandie, les vacances dans le Périgord, avec le grenier à photos ; tout est bien sûr très nébuleux, ça fuit d’un bout à l’autre de la France, toujours dans cette Volkswagen grise achetée avec le gros salaire du Père. L’ancienne voiture du peuple tient désormais dans les mains velues de cet homme qui aurait tant voulu être aristocrate. Pour ça, il se tient haut et droit comme une tour de Babel, faite de chair, de muscles et de sang. Au volant, il fonce droit devant, sans s’arrêter, direction Deauville, puis Cabourg. Le bolide parcourt ensuite les routes du Sud, passe par Châteauroux ; chaque fois tu y vomis dans les mêmes toilettes du même restaurant, celui qui se trouve juste en face de la gare et qui s’appelle À la Gare — il faut dire que la route zigzague beaucoup, c’est encore la pudeur des coins esseulés là-bas, les coins esseulés qui tiennent à le rester.

Tu y vomis tout de tes vacances, dans ces toilettes humides où ça sent l’animal mort.

Le Père reprend ensuite le voyage. Le vent dans les cheveux, les yeux clos sur les paroles amères de ce chanteur à la voix suraiguë, tu rêves déjà d’être partout sauf ici, te répétant inlassablement, ce que le monde est vaste, qu’est-ce que je fais là, ce que le monde est vaste ! Le Limousin déploie ses paysages ras et plats, puis vient Montignac avec sa Vézère mystérieuse, ses collines rocailleuses, bien trop élevées pour que tu puisses en voir les sommets et dont les cailloux se fracassent avec violence dans les champs de maïs du bas.
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Au milieu de la foule, une jeune fille mince aux cheveux rouges, coincée dans un short, pleure en silence. C’est moi, Chloé. Personne ne le sait, mais je viens de tout perdre. D’une main tremblante, j’essuie les gouttes de sueur qui perlent à mon front. Et les larmes aussi, qui déferlent sur mes joues comme des vagues scélérates. L’été austral est à son comble, l’humidité de l’air se mêle à celle de l’océan, et tout cela donne au paysage la couleur du feu. Les oiseaux, les filaos, la mousse et les nuages ; les montagnes et la route qui serpente à l’ombre des cryptomerias ; les baignades dans la nuit, la torpeur des tropiques ; les banyans et les étreintes magiques – tout s’embrase. Bientôt, je ne distingue plus rien de ma jeunesse. Elle vient de périr sous mes yeux.
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Dans ce café, à midi,
Face au port ou dans Paris
Où était-ce déjà ?
Je ne me souviens que de tes veines
Qui couraient, comme ça,
Le long de ta tisane verveine

Nous n’étions pas seuls et pourtant :
Nous n’étions que toi et moi

La foule bougeait au rythme
Des mots que nous partagions
Et
D’un coup d’un seul
Tu as voulu ma bouche sur tes seins

D’un coup d’un seul
Je suis parti sans rien

Mes bras pourraient être ton refuge
Tu sais
Un peu de bois pour nos secrets
Nous y mettrions des arbres, la forêt
Tout ce qui gêne à l’avancée des chemins
La verdure gelée aux orées de l’aurore
Et la buée des vitres, à la moindre goutte

De nous deux ensemble
Ne resterait qu’un rêve
Celui d’être ton toit
Protégé par tes lèvres
Et chaque jour le paysage
Deviendrait un autre paysage
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Le Havre paraît toujours plus pâle au soleil
Toujours plus triste, toujours plus loin

Un jour, pour toi
Je marcherai le long de la Seine
J’irai par les paquebots
Et les grues cendrées de l’été
Je prendrai leurs ailes longues et grises
Volerai par-delà ta maison
Ton absence, ma hantise
Et m’arrêterai peut-être au coin de ta rue
Pour m’offrir en mirage

Je dévierai ma route jusqu’aux prochains sables
Ceux qui bougent
Qui font peur
Et placerai mon buste de femme
À la surface de l’horizon
Sur le trait fin que tu vois depuis ton balcon

Il y aura des sirènes et il y aura ce voyage
Que nous ne ferons jamais tous les deux
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Je traverse le pont.
D'une berge à l'autre, tout change ;
je le sens.
En moi quelque chose pousse,
quelque chose pleure, quelque chose crie,
et cela marque mon passage vers un stade supérieur.
Les frontières
ne sont pas toujours des lignes tracées sur les cartes.
Parfois elles sont des pleurs,
des claques,
des choix,
et d'autres fois elles sont des bouches qu'on embrasse.
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Nous n’espérions rien de plus qu’un peu de pluie.

De l’eau du ciel
Versée sur la terre.

Les gens de la ville ne comprenaient pas cela
Les graines mortes, les arbres et les sentiers secs,
Les paysages rasés de leurs fleurs et les bêtes
Qui s’esquintent à creuser
Des puits sans fond dans ces nouveaux déserts.

Depuis la plaine, la verte grange,
Nous espérions, mais rien ne venait.

Parfois le dimanche, nous grimpions sur nos mobs
Direction Battambang.
Sans un mot, nous regardions les passants.

Ils portaient des carapaces de plastique
Pour se protéger du temps
Et nous nous demandions :
Depuis quand croient-ils
Qu’ils ne sont pas des animaux ?
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Nous avions atteint le bout du monde,
Cap des Aiguilles.

Quel vertige d’imaginer qu’au-delà de l’eau
Il y avait de l’eau,
Toujours de l’eau,
Rien que de l’eau.

Nous étions marins, aventuriers,
Collecteurs de nuages,
Lunes et soleils s’entrechoquaient.
Nous abandonnions tout – leurres, ports, fêtes,
Orages – et voulions tout.
Des roches ciselées à l’infini des vagues
Recommencées,
Poser le temps sur un espace
Et l’arrêter.

Nous rêvions tout.

Depuis,
Nous suspendons aux coques des bateaux
L’équilibre de nos vies.
Un pied dans la terre, l’autre dans l’océan.
Le reste du corps vole comme un cormoran.
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Charlotte Monégier
Vers Saint-Leu, le paysage est couvert d’épineux. La végétation rampe au sol, elle prend tout du soleil et il ne reste rien pour les autres. L’océan, pâle ; le ciel, gris ; le vent, furieux ; et les hommes et les femmes, qui traînent des corps épuisés sur le bord de la route, ont des airs de miséreux.

Je pense au jardin que nous avions, avec mes parents. Il était très différent, avec des plantes et des arbres de toutes sortes. Nous habitions une grande case toute blanche, construite au milieu, sur une terre salie de graviers. A la porte d’entrée, un panneau indiquait « 1864 », mais ma mère n’y croyait pas. Regarde ces fissures ! disait-elle. Et cette odeur de moisi ! Non, non, cette maison est bien plus vieille. Une varangue carrelée, bâtie près d’un mûrier malade, accueillait parfois nos moments de repos. A l’intérieur, les pièces se succédaient, sombres, petites, jaunies par le temps. Les volets étaient des pans de bois rustiques qu’il fallait pousser fort pour apercevoir le ciel. Le parquet semblait gorgé d’eau, c’était comme le pont d’un bateau. Il tanguait sous mes pieds et je devais me tenir aux murs pour ne pas tomber.

L’architecture du lieu n’était pas la seule à s’imposer avec dureté, il y avait aussi les souvenirs et les traces laissés par les autres, les précédents locataires. Leurs cris résonnaient encore contre les parois – les cris d’amour et les cris de haine, toutes ces choses qui vibrent pendant des siècles, à moins de faire venir un sorcier.

- Cette maison est hantée, assurait ma mère, en serrant des chiffons mouillés contre son ventre.
- Tu exagères ! répondais-je.
- Ecoute un peu le chant des fentes. Le grognement des placards. L’escalier qui geint quand on monte à l’étage...
- C’est normal, tout ça. C’est une vieille case. Elle n’est pas hantée, elle a juste besoin de respirer.
- Non, non, je t’assure : cet endroit a quelque chose de mauvais. Et ça finira par nous prendre.
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Je sors de ma rêverie. Le vendeur me scrute, avant d'attraper mon Doudou pour me le tendre. Prenez-le. Non, vous ne me devez rien. L'enfance ça ne se vend pas.
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La couche de neige, dure et lourde, recouvre tout. Les trottoirs, les gouttières, les cheminées n’existent plus. Les passants habituels, les klaxons et les voitures, les animaux tenus en laisse et les ardoises des toitures n’existent plus. Toute la vie s’est blottie sous les flocons de glace et des blancs par milliers en sont nés. Le blanc de la mer, le blanc des yeux mouillés. Le blanc des adieux, sur une aire d’autoroute, un samedi au soleil. Le blanc du cœur de mon père, quand il ne m’aimait pas assez ; le blanc des larmes de ma mère, qui ne savait plus comment me garder.

Quand je regarde le ciel, j’imagine un plafond de nacre. Des cristaux d’aragonite et des reflets irisés miroitent ensemble, sous les gouttes de pluie. Cabourg a pris la forme d’une huître et ça me plaît. Plus que tout je désire m’y faufiler, m’y cacher. Plus que tout je veux dormir dans son iode, poser mon visage sur le mollusque maternel et boire le lait fécondant jusqu’à l’ivresse. Il paraît qu’une huître-mère donne naissance à plus d’un million d’œufs par an. Moi je veux faire éclore plus d’un million de sentiments dans mon cœur, maintenant. Je veux retrouver ce que j’ai perdu, le souvenir de ses baisers doux et les caresses du bout de ses mains. Ses longs cheveux blonds dans mon cou de petit garçon. Ses yeux profonds. Sa façon si triste de dire « Pardon ».

Ma mère disait tout le temps « Pardon ».

L'Huître, extrait tiré du recueil de nouvelles Le Petit peuple des nuages, de Charlotte Monégier.
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La lettre est froissée sur le parquet. Je suis assis à côté. Je ne veux pas m'en éloigner et je ne veux pas m'en approcher non plus. L'écriture de mon père n'a pas changé. Elle me rappelle la dernière fois que je l'ai vu, il s'apprêtait à embarquer pour plusieurs semaines, vers l’Écosse, l’Irlande ou le Canada. Personne ne pouvait dire où il allait, ni quand il rentrerait. Ma mère avait préparé son bagage. Sur ses joues elle avait mis du rouge et du courage, mais dans ses yeux, déjà, je devinais le naufrage.

Ce jour-là j'avais huit ans.
Je ne pensais pas grandir d’un coup.
C'est pourtant ce qui s'est passé, mon père n'est jamais revenu.

Je suis de ceux qui restent au port, extrait tiré du recueil de nouvelles Le Petit peuple des nuages, de Charlotte Monégier.
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À l’aéroport, à côté des porte-clés en forme de zèbre, trône un Nelson Mandela piqueté de perles brillantes et colorées. Il est grand comme moi. Il lance un sourire aux passants et lève la main bien haut en signe de paix. Je souris. Lorsque Gabriela m’a retrouvé le soir même à la ferme, elle m’a expliqué en quoi consistait son travail. Elle faisait le tour des townships de Johannesburg pour vacciner les habitants, traiter les plaies infectées, bander les entorses. Parfois elle accouchait des femmes seules et partageait le dîner d’un vieillard. Elle travaillait de préférence en soirée, souhaitant conserver une certaine liberté dans ses journées. Gabriela montait à cheval, c’était son souffle, son évasion, et souvent mon père l’accompagnait.

« Un jour, il a voulu monter un zèbre.
— Est-ce qu’il a réussi ?
— Non, bien sûr que non. Ton père s’est retrouvé à l’envers, accroché à la queue de l’animal, la tête posée sur son cul ! Le zèbre ne veut pas d’attache. Il est sauvage.
— Comme mon père.
— C'est vrai. Mais il t’aimait. Il m’aimait. Et il aimait aussi ta mère. Tout ça ce sont des attaches. Est-on vraiment libre quand on aime ? »

Nuit blanche à Soweto, extrait tiré du recueil de nouvelles Le Petit peuple des nuages, de Charlotte Monégier.
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Arrivée au cœur du Delta,
dans la province de Tiền Giang,
j’ai découvert My Tho,
un coin perdu dans la forêt où les touristes ne vont pas.

Parfait pour ma rédemption.

Les jours passent dans ce décor intemporel et,
chaque matin,
penchée sur le bord du fleuve,
j’ôte l’un de mes vêtements pour l’offrir aux flots.
L’idée est de finir nue.

Avec le propriétaire de la guesthouse où je dors,
je pêche le poisson et le cuisine dans des poêles énormes.
J’apprends à scalper, décapiter, éviscérer.
Je suis une enfant de la Terre informée,
responsable de mes actes,
et de nouveau je mange du poulet.
Les animaux de la ferme sont maigres,
comme les femmes qui secouent les tissus
sur les galets gris
des rivières d’Asie,
cependant,
on trouve toujours des morceaux de chair
à se mettre sous la dent.
Ça craque.
Parfois j’avale des plumes et des petits os.
Ce n’est pas grave.
Plus rien n’est grave.
Désormais mon ventre résiste à tout.

Un matin,
je donne au Mékong ma dernière robe.
Je l’observe un instant dériver à la surface
comme les mines dérivent sous la terre
ramollie par la saison des pluies,
et je me demande ce qui va mourir, ce qui va survivre.
Est-ce cette fille de vingt-huit ans,
aux yeux sans couleur,
avec la rage aux joues ?
Ou cette femme nouvelle,
à la silhouette nettoyée,
qui tend des bras de bambous en direction du fleuve,
ce fleuve qui charrie depuis Lasagongma,
sur le mont Guozongmucha,
en Chine,
des milliards d’alluvions,
d’enfances avortées
et,
aussi,
le rire à jamais éteint de cette voisine de quatorze ans.

Où vit-elle ?
Où vit la Chinoise ?
Près du Mékong , elle aussi ?
Je veux le croire.
À sa source comme à son estuaire,
toutes les deux nous le contemplons.
La masse d’eau brune s’écoule
comme le flux menstruel des femmes,
ces règles que j’ai de nouveau,
ces règles que j’aurai encore longtemps,
ces règles qui ne te nourriront pas,
petit être,
mais ces règles qui,
avec un peu de patience,
finiront par se confondre avec d’autres liquides,
celui de la mousson sur la terre,
celui des hommes qui perdent une jambe
et des femmes qu’on lapide,
celui de l’Afghane que je ne suis pas,
celui du canal Thầy Tiêu,
à Saigon,
et celui de cette frontière par laquelle la guerre n’est jamais finie.

Car les frontières,
souvenez-vous,
ne sont pas toujours des lignes tracées sur les cartes.
Parfois elles sont des pleurs,
des claques,
des choix,
et d’autres fois elles sont des bouches qu’on embrasse.
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À Saigon, le temps est trempé.
Les nuages paissent dans un grenat de mousson,
une traînée de feu chargée d’humidité.
C’est un spectacle brûlant qu’on ne trouve qu’en Asie,
ceux qui n’y sont jamais allés
ne peuvent pas comprendre.
Si vous ne connaissez pas l’odeur des pluies
sur les rives du Mékong,
les lacs qui débordent et les forêts qui s’y noient,
si vous ne savez rien des rizières
en cascades d’escaliers
qui dévoilent aux heures bleues leurs atours argentés,
je ne peux rien pour vous.
L’état du soleil qui se mêle au déluge est un trouble
impossible à décrire.
Il faut le vivre.
Passer au travers.
En devenir rouge —
un rouge sang, un rouge brut,
un rouge de lèvre qui palpite sous un baiser d’amour.
.
J’ai, alors, des ailes brisées,
l’élan cassé,
et je fais le vœu d’en finir pour de bon —
un accident dans le Delta,
un trou noir pour un autre univers,
tout me conviendrait,
tout serait préférable à que ce que je m’apprête à faire.
.
Tiger Phone Card,
le tube de Dengue Fever,
me tire doucement de ma rêverie.
Je suis toujours à l’aéroport, au Cà Phê Sân Bay.
J’attrape mon sac et mon passeport,
mon téléphone à l’écran cassé.
Je pense au Cambodge.
À ce que j’y ai fait, quelques semaines auparavant.
Cette eau sacrée, au Phnom Kulen,
qu’est-ce qui m’a pris de m’y baigner ?
La roche plate et chaude glissait sur ma peau ;
j’avais encore trop marché,
par endroits je saignais,
et,
tandis que les mouvements lents du torrent
soulageaient mes courbatures,
j’ai eu cette image :
un bébé, en moi.
Avec cet homme, à la frontière.
Cet homme que j’avais croisé,
le temps de quelques jours.
Il avait les cheveux bruns et courts,
des gestes maîtrisés.
Ses yeux étaient noirs comme le noir de la nuit
qui tombait tel un couperet
sur Khlong Yai Border Checkpoint.
J’avais fait : Merde, où est-ce qu’on va dormir ?
Tout est fermé !
Je ne sais pas, avait-il répondu.
Paraît qu’après la douane, y a une femme
qui offre le gîte et le couvert contre une histoire.
Une histoire ?
Oui.
Tu lui racontes ce que tu veux,
même dans une langue qu’elle comprend pas,
et elle t’ouvre sa porte.
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Je suis arrivée tard dans la nuit depuis Phnom Penh,
sans que cela gêne,
sans que cela perturbe l’équilibre
des nuages, de la mousson, des ibis géants.

Mes premiers pas sur le sol vietnamien sont mal assurés.
Je tangue sous l’épaisseur de la brume,
brûlante et rampante sur ma peau,
et je réalise
que je n’ai plus de maison.

Je vis sous un ciel gros comme l’océan,
avec un sac sur le dos ;
j’y entrepose quelques affaires,
un carnet, des stylos,
cet appareil photo pour les souvenirs.
Autour de moi, les derniers avions se posent sur la piste.
Ils laissent derrière eux des traces scintillantes,
des trajectoires de comètes,
et je ne trouve pas la mienne.

Où est passé mon chemin ?

J’ai vingt-huit ans.
Mes cheveux sont longs, jaunes,
et mes yeux s’adaptent à toutes les circonstances.
C’est pour ça qu’ils n’ont pas vraiment de couleur.
Parfois ils sont gris, parfois ils sont verts,
et lorsque j’approche un peu trop la mer,
ils deviennent bleus.
Suis-je réelle ?
Je n’en sais rien.
Peut-être m’a-t-on inventée,
vaguement revisitée,
pour les besoins d’une histoire qu’on voudrait raconter.
Quelle importance ?
Que l’on puisse me toucher pour de vrai
ou que l’on tâtonne
à trouver les contours de mon corps,
cela ne change rien à ce que j'ai vécu.
Mon seul point d’ancrage, c’est ce grain de beauté.
Calé sur ma joue gauche,
c’est une planète à part,
une grotte pleine et ronde,
et chaque fois qu’il fait trop sombre, je cours m’y réfugier.

De temps en temps,
quand l’argent rentre et que Paris m’ennuie,
je pars pour de vrai
et je passe des frontières.
Je n’aime pas l’idée de frontière.
Une frontière, c’est toujours le rappel d’une guerre,
un tracé offensif sur le bord d’une carte ;
elle a beau suivre des fleuves et des flancs de montagne,
s’ajourner des nécessités de la marche
pour s’imaginer oiseau,
elle n’en garde pas moins son goût de sang.
Mais, une frontière, c’est aussi le début d’un voyage.
La perspective d’un nouveau paysage
dont on ne sait rien des lumières.
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Sur les longues autoroutes, tu pourras
Poser ta joue sur mon jean
Pendant que j’écouterai la montagne
Tu dormiras
Et tes pensées seront les fleurs des neiges éternelles
Il n’y aura plus de peur
Plus d’homme sec et violent et promis
Il n’y aura plus d’amertume dans ta bouche rougie
Je ne veux pas, je refuse !
L’amertume dans ta bouche

Tu bougeras quelquefois
La mâchoire pour sourire
Et puis c’est toi qui me prendras
Berceras, conteras
Jusqu’à l’intérieur de moi
Au plus profond de mes os
De ce sang qui me fait battre
Qui me fait homme
Rien que pour toi

Nous n’aurons plus à mentir
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