Christian Jamet

En 1492, Laurent de Médicis meurt en ne laissant que des héritiers incapables et indignes. Quelques moins plus tard, à Rome, au grand scandale de la chrétienté, Alexandre Borgia accède au trône pontifical. Mais déjà s'est élevée à Florence la terrible voix de Jérôme Savonarole, prédicateur austère qui prédit au pape, aux prélats et aux princes les terribles châtiments du Ciel outragé. Ainsi, dans une cité où l'âme populaire est toujours avide de feu et de sang, le vernis de la Renaissance craque bientôt sous les fureurs de l'Apocalypse. En prêchant la parole de Dieu, Savonarole excelle à réveiller les vieux démons, et la terreur qu'il inspire est une arme efficace. Pendant qu'il vocifère, on crie, on hurle, on s'évanouit...
De nature sensible et d'esprit très religieux, Botticelli ne peut évidemment se soustraire à la crise morale provoquée par la prédication de Savonarole... En ce qui concerne les tableaux religieux, ils n'évoquent plus la Vierge parmi les lys et les roses dans une nature bénie, mais le plus souvent des scènes désespérées, de pathétiques images de la Passion...

Les rudes paysages du Maghreb, les scènes de la vie au quotidien, les admirables types de personnages drapés dans leurs burnous ou les fauves au merveilleux pelage ont durablement fécondé l'inspiration de Delacroix. Installé dans son dernier atelier de la rue de Furstemberg, miné par la maladie qui l'emportera le 13 août 1863, c'est encore au Maroc qu'il songe comme en témoigne son ultime tableau "La perception de l'impôt arabe", mais aussi, à l'église Saint-Sulpice, cette "Lutte de Jacob avec l'ange" dont le décor, qui se veut biblique, rappelle malgré tout les haltes de l'équipée de 1832, entre Tanger et Meknès.

Dans la chambre du peintre, s'entassaient vingt-trois toiles de formats presque identiques, déclinant la beauté de nos paysages dans de multiples harmonies de lumière. Le moulin de Vervy, le village de Roche-Blond aux rayons du couchant, la vallée inondée de soleil, le vieil arbre du confluent, mais aussi le torrent exalté de la Petite Creuse, les Eaux semblantes sous un ciel lumineux, gris de plomb ou rougeoyant, le Bloc sur lequel affleurait un granit rosi de bruyère... tous les environs de Fresselines s'offraient au regard, comme autant d'impressions fugitives de l'âme des collines et de l'eau, arrachées à la course effrénée du temps.
Le regard de Théo ne pouvait se détacher du tableau des eaux semblantes sous le soleil de l'après-midi. Aux teintes sombres, mauves ou rouge brique de l'hiver moribond, le Bloc comme les collines de la rive opposée mêlaient déjà les jaunes d'or et de paille, les verts d'émeraude ou bleutés de la parure du printemps. D'un ton plus soutenu que le ciel nuageux qu'elle reflétait, la rivière se grisait des mille et une paillettes argentées qui transformaient en pierres précieuses les cailloux luisants de son lit. "Comme c'est beau, m'sieur Monet, comme c'est beau !", s'exclamait Théo, le regard perdu d'admiration.

Ses Vénus ressemblent à ses Madones et ses Grâces apparaissent comme les sœurs de ses anges. Cette fusion des thèmes sacrés et profanes semble avoir été favorisée par la recherche humaniste d'un point de convergence entre l'antiquité et la chrétienté et en cela, Botticelli est particulièrement représentatif de l'esprit de son époque.