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Citation de Charybde2


Dans la salle de jeux, les hommes jouaient aux échecs, aux dames ou aux dominos, à la lueur des bougies. Des pièces taillées dans la roche de chaque côté du tunnel principal servaient à loger hommes et femmes. À l’intérieur, des niches creusées dans la paroi et garnies de foin faisaient office de lits. L’aile médicalisée était équipée de vrais lits et d’une salle d’opération. Les femmes cuisinaient au moyen de fours à bois construits en calcaire jaune, dont la fumée était évacuée vers un tunnel supérieur. Par un puits à ciel ouvert donnant sur un village, les habitants, feignant de chercher des seaux d’eau au puits, leur descendaient des paniers de nourriture…
Des profondeurs d’Odessa remontent depuis toujours toutes sortes d’histoires et de légendes : des disparitions restées inexpliquées, des rumeurs de crimes rituels. Difficile de faire la part du vrai et du faux dans tous ces récits venus des profondeurs, une histoire en creux de faux souvenirs et d’aventures formées en partie par la rumeur, l’imaginaire et la réverbération mystique. Des gangs y détenaient des femmes pour les vendre en esclavage. Un rescapé du Titanic, sauvé par un navire de brigantin qui se rendait à Odessa, aurait sculpté une maquette du bateau en or massif qu’il aurait cachée dans les catacombes de peur qu’elle soit confisquée par les bolcheviks qui avaient pris le contrôle de l’Ukraine six ans après le naufrage. Un siècle après, certains espèrent encore retrouver ce trésor. D’autres histoires parlent d’un esprit – ou même un dieu – qui veille sur les catacombes. Parfois appelée « Bout », cette divinité vengeresse protège les trésors qui y sont cachés. Il est dit que si quelqu’un essayait de voler des trésors enfouis dans les catacombes, Bout les emprisonnerait dans l’obscurité froide. Selon ces croyances, il est interdit de rapporter à la surface ce que l’on trouve sous la terre. Et si l’on transgresse cette loi, alors il faut au moins laisser quelque chose en échange.
Odessa est une construction à trois étages : la ville proprement dite, avec ses monuments néobaroques, ses parcs fleuris et ses larges avenues. En contrebas, la ville portuaire, avec sa baie en demi-lune et ses longs quais hérissés de grues. Enfin, la ville souterraine des catacombes. Le psychanalyste Mosche Wolff, disciple de Freud, qui s’installa à Odessa au cours de la première décennie du siècle, voyait dans cette architecture à trois niveaux une représentation de la maison du moi que Freud élaborait à la même époque à Vienne, avec ses trois étages : le ça, le moi et le surmoi. Est-ce pour cette raison que la psychanalyse y a fait son nid très tôt avant de se répandre jusqu’à Moscou ? En 1912, Freud écrivait à Jung : « En Russie (Odessa), il semble y avoir une épidémie locale de la psychanalyse. »
Le « ça » d’Odessa est constitué d’un labyrinthe de tunnels, refuge des bandits et des enfants livrés à eux-mêmes qui trouvaient dans ses profondeurs un terrain d’aventure. Pour les dissuader d’y descendre, on racontait que certains s’étaient perdus dans ce labyrinthe, morts de déshydratation ou de chutes de pierres. Un reporter du Wall Street Journal a trouvé des cassettes audio VHS brisées jonchant le sol : des bandes servant de repères pour ne pas se perdre dans le labyrinthe des tunnels. L’histoire de Thésée et du Minotaure réinventée…
Au-dessus des catacombes, la ville portuaire, le lieu des échanges et des transactions, représentait, selon notre psychanalyste, le moi d’Odessa où régnait le principe de réalité, relié à la ville d’en haut – le surmoi – par les fameux escaliers rendus célèbres par le film d’Eisenstein. La ville d’en haut s’élevait au-dessus de la mer Noire comme une utopie et une vision stratégique. Un rêve géométrique dont témoigne son plan de rues en damier construit par des architectes français à l’image des utopies urbaines des Lumières. Au début du siècle, le surmoi d’Odessa, perché sur sa falaise surplombant la mer Noire, s’éclaira soudain de mille feux. On venait de découvrir l’électricité.
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