Après des semaines de terrain, assommé par la chaleur, abasourdi par l’ennui, qui n’a pas rêvé de se trouver dans un café pour commander une pression et un jambon-beurre ? Qui ? J’ai toujours conseillé à mes étudiants, au nom de l’efficacité et lorsque c’était possible, de ne pas outrepasser quinze jours de terrain d’affilée. Il est nécessaire de retrouver un peu de l’intimité dont on est constamment privé dans un village. Aller au bawo suudu (derrière la maison), souvent à la vue de tous, reste une épreuve, renforcée encore au constat de l’état des lieux d’aisance. Parmi les pères fondateurs de nos disciplines de terrain, seul E. Evans-Pritchard (1994) a osé confesser ses tourments chez les Nuer, comme sans cesse épié, traqué… On constate un long consensus du silence sur de si quotidiennes pratiques.
J’ai sillonné pendant des mois (1990-1991) le pays dowayo pour recenser les corrals en pierres, en pieux, en euphorbes, en Ficus… ainsi que leurs troupeaux et recueillir leur historie, accompagné d’un interprète originaire du village de Mango. En brousse, ce dernier n’a cessé de repérer des taurins, tout en soulignant systématiquement leurs comportements humains : « Regarde celui-là, il boude, il est fâché contre le maître de son enclos. » « Celui-ci derrière les herbes, avec sa tête de bandit, il a quelque chose à se faire pardonner, il a volé du mil, il va tâter de la prison… ». Un taurin attaché est rarement là pour l’engraissement, c’est un « prisonnier » qui paie pour ses actes de délinquance. Il nous a été donné d’en rencontrer quelques-uns au piquet, à l’entrée des corrals.