Elle me sourit. Et là, j'eus l'impression d'être en présence de l'une de ces femmes qui sillonnent le monde simplement pour offrir une accolade à tous ceux qu'elles rencontrent.
Les humains ne sont que des animaux, ce qui est comestible pour nous l'est aussi pour eux. L'inverse n'est par contre pas applicable. Nous nous sommes complètement dénaturés en évoluant. Moi ça me fait bien rire : il y a cent ans les croquettes et pâtés n'existaient pas et les gens arrivaient bien à nourrir leurs clébards et leurs matous. Si on écoute tous les impératifs que nous dictent les praticiens de notre société de consommation, on ne mangera plus que des trucs sous vide, lavés à la javel et n'ayant jamais vu le soleil, comme les poulets aux Etats-Unis !
Je me disais que la vie pouvait s'aborder de tellement de manières différentes. Il suffisait d'un rien pour tout chambouler.
Je ne faisais rien d’extraordinaire, des gestes accomplis par milliers de générations avant moi, comme arroser les légumes ou puiser l’eau. Et pourtant, tout cela me semblait plus sain que le monde que nos contemporains avaient crée, un monde d’innovations et de stress, de recherches incessantes de nouveautés, qui n’apportait finalement jamais de satisfaction mais toujours plus de buts à atteindre, de remises en question à remuer.
Mais quand on croyait un abruti haineux gagner un procès – ou un m’a-tu-vu débile remporter le loto ou encore tiens: son collègue malveillant, fourbe et incompétent obtenir une promotion – on se disait quand même que quelque chose ne tournait pas rond. Et alors là, perdu dans cette vie à la con, respirant les gaz d’échappement, cohabitant avec des égoïstes pure souche et travaillant avec de mielleux saligauds, on concluait finalement que l’arc-en-ciel merveilleux entrevu au matin n’était peut-être pas si prodigieux que ça. Et que c’était bien une piètre récompense pour endurer toutes les brimades de la journée avec un joli sourire bouddhiste.
J’eus encore une fois l’impression que tout ceci ne pouvait pas être réel. La chèvre qui gambadait sans but apparent, la ligne formée par nos deux corps humains et complétée par le chien et, fermant la marche, collée aux talons de Marguerite, l’oie qui se déhanchait nonchalamment. Le tout dans un cadre idyllique. Improbable.
Le calme de la nature m’ensorcela immédiatement. Que c’était bon de pénétrer dans ce monde primordial où l’homme pouvait retrouver la place qui était la sienne à l’origine, en osmose avec son environnement.